La Culotte de Jean Anouilh

Ne fait pas dans la dentelle

La Culotte de Jean Anouilh

À dire vrai, on ne comprend pas très bien quelle mouche a piqué Émeline Bayart (par ailleurs comédienne de grand talent douée d’une nature comique rare). Quelle drôle d’idée d’exhumer cette médiocre farce misogyne commise par Anouilh à la fin de sa vie qui aura fait beaucoup mieux si l’on songe à Antigone (1944), ou La Valse des toréadors (1951) ou encore Ne réveillez pas madame (1970).
Dans les années 1970, le féminisme avait bien fait parler de lui, et pour la bonne cause. Ce qui n’empêchera pas le dramaturge d’écrire ce vaudeville douteux qui met en scène une société dans laquelle les femmes ont pris le pouvoir pour le pire. Elles font régner la terreur avec leur comité de vigilance des femmes libérées du 16e arrondissement, inventent un nouveau Code pénal qui fait autorité, instruisent des procès carnavalesques pour juger les hommes coupables d’adultères qui seront émasculés pour les punir de leurs frasques. Tel est le sort qui attend ce pauvre bourgeois, chroniqueur au Figaro, enchaîné par son épouse hystérique qui lui libère une main afin qu’il rédige son article quotidien et le soumet à des séances humiliantes d’autocritique. Le malheureux (on finirait par le plaindre) est accusé par sa femme d’avoir troussé la petite bonne et de lui avoir fait un enfant. Il s’avère que le bébé est noir mais cela ne trouble pas une seconde l’accusatrice qui persiste. On rit car Anouilh a une plume et sait s’en servir. Il ne craint pas le calembour car il a l’art de le conduire à bon port. Une phrase cependant contraste avec l’ensemble ; à quelqu’un qui demande : « mais où veulent-elles en venir ? », il est répondu : « à se faire respecter » Si l’on rapproche l’objectif louable de la méthode contre-productive, il y a matière à s’interroger sur l’intention de l’auteur.

Émeline Bayart prend le parti d’assumer l’esthétique du théâtre de boulevard alourdie par une scénographie et une direction d’acteurs ankylosées. Curieusement, elle voit dans cette Culotte « une pièce visionnaire », là où on peut voir tout au plus une pochade ambiguë ; si sa prophétie s’accomplit, la société a du mouron à se faire. Aucun indice de second degré qui justifierait éventuellement ses choix si ce n’est l’ajout de chansons féministes telles Les z’hommes du regretté Henri Tachan (chanteur engagé trop marginal, décédé l’été dernier) ou L’éternel féminin de Juliette. À noter, les arrangements musicaux de Manuel Peskine, compositeur de talent qui a collaboré à la précédente mise en scène d’Emeline Bayart, On purge bébé de Feydeau. Au théâtre, il a travaillé, entre autres, avec Alexis Michalik, Sylvain Maurice, Justine Heynemann.

La Culotte de Jean Anouilh. Mise en scène Émeline Bayart. Scénographie et costumes, Anne-Sophie Grac. Assistante à la mise en scène, Luciana Velocci. Arrangements musicaux, Manuel Peskine. Lumière, Joël Fabing & Mélaine Danion.
Avec Émeline Bayart, Christophe Canard, Marc Chouppart, Thomas Da Costa, Marc-Henri Lamande, Corinne Martin, Laurent Ménoret, Herrade Von Meier.
A Paris au Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet jusqu’au 7 octobre 2023.
Durée : 1h45.

18-19 octobre, théâtre Saint Louis, Pau
14 novembre, Espace Jean Legendre, Compiègne

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook