L’Arlésienne, enfin !
Jean-Claude Malgoire et Daniel Mesguich ressuscitent la musique de scène écrite par Bizet pour la pièce de Daudet.
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- 24 septembre 2012
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L’Arlésienne est une arlésienne : on en parle, on l’évoque, on la cite, pourtant on ne l’entend jamais sinon sous forme d’extraits ou de suites plus ou moins bricolées. Bizet a pourtant composé une singulière partition qui mérite d’être connue dans son entier et d’être entendue dans sa continuité. Au départ : une nouvelle d’Alphonse Daudet (qui fait partie des Lettres de mon moulin), que l’auteur adapta lui-même sous forme de pièce de théâtre, laquelle fut créée le 1er octobre 1872 au Théâtre du Vaudeville à Paris, munie d’une musique de scène de Bizet. Comme il arrive souvent (qu’on pense à Peer Gynt de Grieg), cette musique fit l’objet de suites d’orchestre : une première, mise au point par Bizet lui-même, fut créée dès le 10 novembre 1872 sous la direction de Pasdeloup ; Ernest Guiraud, ami du compositeur (et auteur des récitatifs de Carmen !) en fit une autre, sept ans plus tard (c’est-à-dire quatre ans après la mort de Bizet), en y glissant un morceau extrait de La jolie fille de Perth ! Il arrive aussi que des chefs d’orchestre recomposent eux-mêmes leur propre suite.
Pour apprécier les intentions premières de Bizet, il convient cependant de revenir à la musique de scène originale. Oui mais, en l’absence de représentation dramatique de la pièce, comment faire ? La réponse nous a été donnée le 23 septembre au Théâtre des Champs-Élysées, dans le cadre des Concerts du dimanche matin : en confiant à un comédien faisant tous les rôles le soin de lire le texte, et à un petit orchestre (Bizet, au Théâtre du Vaudeville, ne bénéficiait que de vingt-six instrumentistes) étoffé d’un petit ensemble vocal, celui de jouer toute la musique. Le résultat est lumineux : Daniel Mesguich lit pour nous la pièce en donnant une voix à chacun des personnages (le vieux berger Balthazar, le jeune héros Frédéri, Rose la mère de Frédéri, mais aussi la timide Vivette, le frère de Frédéri qui n’est autre que le très clairvoyant idiot du village, etc.), en prenant également un accent provençal qu’on jurerait vrai. Rien n’est affecté ni grotesque, là où un mauvais comédien s’égarerait dans une espèce de parodie : il s’agit au contraire d’un numéro de comédien d’une virtuosité confondante, ou plutôt d’une multiple incarnation qui donne une vérité poignante au texte de Daudet. Le fait que Mesguich, en outre, lise les didascalies, donne à cette lecture habitée une espèce de réalité vertigineuse.
A la tête des Musiciens du Paradis et de La Grande Écurie et la Chambre du Roy, Jean-Claude Malgoire restitue les vingt-sept numéros de la partition de Bizet, qui dialogue idéalement avec le texte. Une partition faite de seize mélodrames (au cours desquels la voix du comédien se superpose à la musique), de six chœurs et de pages autonomes confiées à l’orchestre. Jamais la « Marche des rois » et la « Farandole » n’ont sonné avec une telle éloquence et une telle étrangeté. On savoure l’invention mélodique de Bizet (qui n’a rien à voir avec la pâleur de Mireille de Gounod, qui se déroule aussi en Camargue), la finesse avec laquelle il conjugue le pittoresque et le drame, son sens des timbres aussi : Bizet utilise le saxophone alto, instrument nouveau à l’époque, il fait chanter à merveille la clarinette ; il y a aussi vers la fin certaine page aux harmonies déjà mahlériennes qui fait jouer simultanément la flûte et le cor anglais, digne souvenir de la « Scène d’amour » de Roméo et Juliette de Berlioz.
Ce spectacle, en réalité, n’en est pas à ses débuts. Mesguich et Malgoire l’ont donné bien des fois et l’ont enregistré en 1998 (chez Auvidis). On est heureux toutefois de le retrouver et de se rappeler que la musique et le théâtre, dans les conditions de représentation les plus nues, peuvent atteindre à une féconde complicité.
illustration : Alponse Daudet et Georges Bizet.
Daudet-Bizet : L’Arlésienne. Daniel Mesguich, récitant ; Les Musiciens du Paradis, La Grande Écurie et la Chambre du Roy, dir. Jean-Claude Malgoire. Dimanche 23 septembre, 11h, Théâtre des Champs-Élysées.