Girls and boys de Dennis Kelly

un théâtre coup de poing

Girls and boys de Dennis Kelly

Le théâtre du britannique Dennis Kelly est social. Le dramaturge s’intéresse aux relations de domination dans les rapports humains, essentiellement dans le cadre familial. Chloé Dabert avait reçu le prix Impatience (2014) pour sa mise en scène d’Orphelins dont l’argument pourrait se formuler ainsi : jusqu’où peut-on prendre la défense d’un parent coupable de crime ? En 2017, elle s’intéresse à cette pièce étrange intitulée L’Abattage rituel de Gorge Mastromas, personnage banal qui brusquement se révèle éruptif et toxique. Bénédicte Cerutti, qui interprète Girls and boys (créé en janvier 2022) sous la direction de la même Chloé Dabert, faisait partie de la distribution. C’est dire si toutes les deux ont une connaissance approfondie de l’auteur.

Une femme raconte comment elle a cru tourner la page de ses années de galères durant lesquelles elle a cumulé toutes les addictions et enchaîné les dérives. Et puis un jour, dans la file d’embarquement d’un vol Easyjet elle a rencontré son futur mari. « Il m’a tout de suite déplu » se rappelle-t-elle, ce qui ne l’a pas empêchée de l’épouser, malgré cette intuition initiale. Durant quelques années, vie idyllique, brillantes carrières du couple, deux enfants délicieux jusqu’à ce que les nuages s’amoncellent au-dessus de ce bonheur sans mélange.
Bénédicte Cerruti est cette femme qui n’a pas de nom, et de fait, parle au nom de toutes. La comédienne donne vie à ce récit sans affect apparent dont l’humour noir et l’autodérision révèlent la lucidité du personnage pourtant sous l’emprise des évènements. À la faveur d’un dispositif simple et efficace (Pierre Nouvel) qui s’ouvre pour suggérer des espaces fictifs, cette femme en perdition parle à ses enfants absents comme s’ils étaient là, négocie les disputes, gronde, cajole, et avec le même ton familier elle se rappelle : « les enfants ne sont pas là, je sais bien, ils sont morts ». La pièce plonge dans l’horreur. La tension qui explose brutalement trouve sa résolution dans l’anéantissement murmuré de cette femme qui vacille.

Kelly manigance son coup un peu comme un auteur de polar dans le genre trash à la James Ellroy. Le récit ordinaire d’une histoire ordinaire sans enjeu apparent débute en douceur jusqu’à un point de bascule radicale après lequel on comprend que des informations anodines instillées l’air de rien étaient les premiers indices de la catastrophe. Une manière d’endormir le spectateur pour mieux le réveiller par un coup de poing bien senti qui le laisse chaos.
Dans une langue acérée, presque factuelle, Girls and boys décrit la perversité du réel, met en scène la violence de la société, la banalité du mal. Un texte fort admirablement servi par Chloé Dabert et Bénédicte Cerruti.

Girls and boys de Dennis Kelly. Traduction, Philippe Lemoine. Mise en scène Chloé Dabert. Avec Bénédicte Cerruti. Scénographie et video Pierre Nouvel. Lumières, Nicolas Marie. Son, Lucas Lelièvre. Costumes, Marie La Rocca. A Paris, au théâtre 14 jusqu’au 23 décembre 2022.
www.theatre14.fr
Texte édité aux éditions de L’Arche
© Victor Tonelli

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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