Paris, théâtre des Mathurins

Fièvre de Wallace Shawn

Qu’allons-nous devenir ?

Fièvre de Wallace Shawn

Scénariste et acteur, Wallace Shawn a travaillé, entre autres, avec Louis Malle (My dinner with andré,Vanya 42e rue), Woody Allen (Manhattan, Le Scorpion de jade, Melinda et Melinda). Fièvre est son premier texte de théâtre, écrit entre 1985 et 1990 dans un état de nécessité absolue, dit-il, comme si, tout à coup privé de ses défenses immunitaires, il était devenu perméable à toutes les douleurs du monde, de toutes les catastrophes plus ou moins naturelles, Problème insoluble. Comment gère-t-on nos bonne et mauvaise consciences ? que peut-on faire ? que font les gouvernements ? Comment donner plus aux pauvres sans donner moins aux riches ? comment ne pas vouloir le meilleur pour ses enfants ? qu’est-ce que le meilleur ?

La faute à Marx

Parce qu’elle est tombée sur un exemplaire du Capital de Marx, une jeune femme, jusque là à l’abri de toutes ces questions, s’est abîmée dans le maelström maléfique qui nous guette tous mais qu’on a l’art d’éviter. Elle qui pensait pourtant être, comme beaucoup, immunisée dès la naissance, elle se voit fébrile, dans un état second, secouée par la fièvre d’un virus sans vaccin. Une fois qu’on a ouvert les yeux, c’est trop tard, et peu importe que ce soit à cause d’une vieille Bible hors d’usage. Elle est définitivement convaincue que l’injustice sociale est ce qui perd l’humanité. Un problème dont les racines se perdent dans la nuit des temps ; Hésiode déjà au VIIIe siècle avant J.C., en parlait. Nous croyons que les religions sont les causes de nos malheurs. C’est un leurre. Dans un monde où règne l’équité, il n’y aurait plus de place pour aucune forme de fanatisme qui prend la religion comme prétexte. L’opium du peuple cher à Mao, est aujourd’hui prétexte aux pires violences.

Une prise de conscience brutale

L’écrivain déclare de manière un peu solennelle, que, assommé par cette révélation, il ne pourra plus jamais être heureux. Quel que soit le degré de sincérité de ses déclarations, l’intérêt de ce texte effervescent c’est de secouer notre léthargie, de déciller nos yeux qui voient sans regarder, de nous pousser dans nos retranchement pour, non pas nous culpabiliser, mais nous faire réagir en être humain. On pourrait ajouter que l’effort consenti serait le tribut confortable à payer à la communauté humaine, car, si nous sommes en situation de nous poser ces questions c’est, le plus souvent, que nous sommes plus ou moins nantis, à l’abri dans une maison chauffée, le réfrigérateur plein de victuailles et de chauds manteaux dans le placard.
Ce texte, un peu long et bavard par endroits, qui court comme les eaux tumultueuses d’un fleuve en furie charrie une pensée désordonnée en fusion qui brasse des arguments disparates, envisage divers points de vue sans bien sûr apporter de réponse mais une ultime interrogation désespérée, qu’allons-nous devenir ? Il n’est pas étonnant que le dramaturge et metteur en scène suédois, Lars Noren, dont le théâtre est à l’écoute du monde, se soit intéressé à ce texte que lui a soumis la comédienne roumaine Simona Maïcanescu qui le joue. C’est un texte difficile à porter qui exige une grande force de frappe de l’interprète pour arriver à bousculer vraiment le spectateur, à le contraindre à s’interroger bien au-delà du spectacle. C’est un texte à faire entendre aux jeunes car il est un ferment de réflexions et de débats féconds jusque dans ses partis pris. On ne peut que saluer le soutien apporté par différentes institutions (scène nationale de Besançon, CDR de Tour, le théâtre de l’Athénée-Louis-Jouvet) et se réjouir qu’un théâtre privé s’engage dans une telle programmation.

Fièvre de Wallace Shawn mise en scène Lars Noren avec Simona Maïcanescu au théâtre des Mathurins du mardi au samedi à 19h et dimanche à 17h.
Tel : 01 42 65 90 00

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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