Du 2 au 19 octobre 2024 à la MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Bobigny.
Face à la mère de Jean-René Lemoine par Guy Cassiers.
Le bel éclairage de l’amour salvateur d’un fils pour sa mère.
Premier objet d’amour, la figure de la mère est valorisée unanimement ; les autres attachements ne prennent sens que depuis cet élan initial liant la mère et son enfant. Amour maternel et amour filial sont un seul amour fusionnel, absolu. L’amant/e ne saurait être aussi aimant/e que la mère à l’égard de son enfant. Le nom Mère/Mer connote la douceur, la nostalgie et la tendresse. Quand la mère disparaît, on la célèbre, et le traumatisme est grand pour les êtres nés d’elle – la véritable mort de la vie car la mère donne la vie. Protectrice de l’enfant, elle est dévouée, oublieuse d’elle-même, tendue vers la sauvegarde des siens. (Dictionnaire culturel de la langue française, Alain Rey, Le Robert.)
Face à la mère est le texte autobiographique d’un fils – Jean-René Lemoine, auteur, traducteur, metteur en scène et acteur – à sa mère, disparue tragiquement en Haïti, en proie à la violence exacerbée d’un pays mis à sac. Enseignante dans une école privée de jeunes filles, elle est assassinée dans sa maison ; les populations sont victimes d’arrestations arbitraires, viols, tortures, massacres.
« Un jour, vous m’avez suggéré de venir plus souvent car vous vous rapprochiez de la mort. Je suis venu plus souvent. A chaque passage, je voyais le pays descendre dans l’abîme. »
Dans la culture chrétienne, la Mater dolorosa souffre pour ses enfants : l’adolescent, reproche à sa mère cette image de martyre et sacrifiée face à lui, fils « coupable ».
Perfectionniste, elle voulait que ses enfants « réussissent ». Or, l’enfance provisoire privilégie l’im-permanence de la vie. La mère, source affective, peut se faire possessive, l’enfant étant le réceptacle involontaire des passions, rigidités et peurs adultes. Mais il est nié en tant qu’enfant – « il ne sait pas qu’il est un enfant » – , ne se vit que comme le « reflet » des adultes et dans le « devenir grand » (Françoise Dolto, Tout est langage). Et le garçon parfait devient parfois ado insoumis, rebelle.
La mise en scène de Guy Cassiers est coupée au cordeau, espace mental et incarcération esthétisante, au fil d’un discours libérateur délivrant et dénouant les tensions accumulées - adresses à la mère et interpellations de soi :
« Tant de cruauté… Je n’avais que quinze ans…Faire une trêve… », certaines phrases sont projetées sobrement sur le mur noir du lointain, du flou à la clarté.
A l’intérieur des lignes noires de ce qui pourrait être une cabine médicale aux parois ouvertes, surmontée d’un toit ouvert - carré de métal noir -, qui descend peu à peu, au-dessus de la tête et du corps de l’interprète debout, jusqu’à échouer à ses pieds, tel un tapis argenté. Figure d’une radiographie ou d’un scanner symbolique, l’installation dit tout du coeur et de la pensée de celui que les mots émancipent.
Jeux de lumières, douches variées et poursuites lumineuses, par-delà les brumes de fumigènes et le portrait radiographié projeté sur écran d’un fils sublime, Jean-René Lemoine distille sa parole, calme, apaisé, d’une voix tenue, grave et profonde.
Un moment rare de dialogue intime avec l’autre et avec soi - le don d’un théâtre radieux.
Face à la mère - création MC93 -, mise en scène et scénographie Guy Cassiers, texte ( Edit. Les Solitaires intempestifs) et interprétation Jean-René Lemoine, création son Jeroen Kenens, création lumière Zélie Champeau, création vidéo Stéphane Rimasauskas, assistant à la mise en scène Valentin Suel, décor, technique et production Les équipes de la MC 93. Du 2 au 19 octobre 2024, MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis. Les 25 et 26 octobre 2024, D-CAF Festival Le Caire, Egypte. Les 6 et 7 novembre, Maison de la Culture d’Amiens. Les 12 et 13 novembre, Le Volcan, Scène nationale du Havre. Le 18 novembre, Le Phénix - Scène nationale Valenciennes, Festival NEXT. Les 5 et 6 février 2025, Centre Dramatique National Orléans. Les 20 et 21 mars 2025, Agora-Desnos, Scène nationale de l’Essonne. Du 16 au 18 avril, Bonlieu, Scène nationale d’Annecy. Les 6 et 7 mai 2025, Comédie de Valence, Centre Dramatique National Drôme-Ardèche.
Crédit photo : Alexis Cordesse.