Entretien avec François-Xavier Hauville

Directeur de la Scène nationale d’Orléans

Entretien avec François-Xavier Hauville

Créateurs, metteurs en scène de théâtre, chorégraphes, musiciens, passeurs, diffuseurs, ils dirigent de nombreuses institutions culturelles dans notre pays.
Comment ces acteurs-clés de notre vie artistique et intellectuelle concilient-ils création et gestion ? En ces périodes de subventions rognées, quelles motivations les animent à ces postes difficiles de responsabilité ? Quelles sont leurs méthodes ? Quelles lignes éditoriales ont-ils choisies pour accomplir leur « mission » ? Comment se situent-ils dans le débat suscité par le Ministère entre politiques culturelles et attentes du public ? Ces personnalités sont aux premières loges pour rendre compte des nouvelles orientations qui affleurent dans la création, dans le spectacle vivant. Avec eux, nous tenterons d’en dresser les particularités. Ces directeurs, tels des vigies, ont également acquis un savoir sur l’état réel de la « démocratisation » de l’accès à la culture. Nous tenterons, au fil de nos rencontres, d’établir un état des lieux concret.
Nous débutons ce subjectif tour de France par le directeur de la Scène nationale d’Orléans, François-Xavier Hauville.

François-Xavier Hauville est à la tête de la Scène nationale d’Orléans depuis huit ans. Mathématicien d’origine, ce musicologue averti a eu comme professeur Yannis Xenakis et comme « université » son fameux Cémamu (Centre d’études de mathématiques et d’automatiques musicales). Après avoir quitté l’enseignement, il a réorganisé et dirigé de 1990 à 1999 le Théâtre de Caen où il met en œuvre notamment la résidence de William Christie et de ses « Arts Florissants ». F.-X. Hauville, pratiquant des musiques d’aujourd’hui, est également un passionné de baroque !« je suis sujet à un strabisme culturel. Cela me donne un champ de vision très large », ironise-t-il. De 1999 à 2005, il est directeur artistique de l’Opéra de Lausanne, ensuite, en 2008, à Orléans, il prend la direction d’une des 70 scènes nationales qui maillent l’activité culturelle de notre pays. Un cadeau magnifique mais empoisonné. Des fées retorses se sont penchées sur le berceau de sa nomination.
En effet, de manière inédite, l’activité théâtrale a été exclue de la mission de la scène nationale ! François Xavier Hauville a pour mission de faire prospérer musique, danse, cirque et performances, mais pas plus. Pour expliquer cette situation très particulière, il faut remonter dans le temps. En 1975, un CAC (Centre d’action culturelle) est créé à Orléans. Il deviendra, en 1992, une Scène nationale. Or, en 1988, avait été fondé le Cado, Centre national de création. En 1992, pour une mission approchante, nait le Centre dramatique national (CDN), puis en 1995, le Centre chorégraphique national d’Orléans (CCNO). Le Cado doit redéfinir alors sa programmation. Du point de vue des financements, le Cado est subventionné par la ville et le département tandis que CDN, Scène nationale et CCNO reçoivent en plus des subsides de l’Etat et du Conseil régional. A l’exception du CCNO qui a été doté de lieux de créations propres, les trois autres structures sont résidentes au Théâtre d’Orléans. F.-X. Hauville est le gestionnaire de la Scène nationale et en assure en plus la direction artistique. Les trois autres structures ont chacune un directeur artistique propre. « Quand je suis arrivé ici pour redonner corps à la Scène nationale, les tutelles, profitant du fait que je venais du monde de la musique, ont supprimé le théâtre de notre mission. C’est exceptionnel. Avec ce mode de fonctionnement, la Scène nationale a perdu, dès la première année 15 000 abonnés. » Le théâtre d’Orléans, hydre à plusieurs têtes, tient de l’usine à gaz et les effets pervers sont nombreux comme l’explique F.-X. Hauville : « Cette situation a deux conséquences fâcheuses. Premièrement, nos abonnements doivent exclure le théâtre, habituellement le moteur du système. Deuxièmement, cela implique un cloisonnement des expressions artistiques, or, l’actualité est au croisement des arts, à l’hybridation. Nous y arrivons un peu avec les performances mais quel gâchis. Et je ne parle pas de l’accentuation du cloisonnement entre les différents publics du CDN (Centre dramatique national), du CADO, de la Scène qui est devenu sévère et ne facilite pas la synergie souhaitable entre les différentes propositions artistiques ! Certes gérer un lieu unique au lieu de quatre permet de mutualiser beaucoup de dépenses. Nous donnons l’impression que le dispositif est riche, que nous sommes dans une maison où il y a tout mais, de fait, ce cloisonnement nous nuit. »

F.-X. Hauville remarque que le seul Théâtre municipal de Caen « avec un budget équivalent et une salle unique de 1000 places, le nombre des spectateurs s’élève à 120.000 personnes, alors qu’à Orléans, avec quatre salles, soit 1700 places, 80.000 personnes participent à nos activités ! Il y a donc un frein quelque part. » Il a pourtant tiré l’alarme de longue date : « Cela fait huit ans, depuis que je suis en place, que je dis à la tutelle, à la Ville, que nous allons dans le mur avec ce système. Ils savent qu’il faut changer les choses, mais ils ne savent pas encore comment. » Pour F.-X. Hauville « la rigidité du système des labels nous empêche de mettre en place des solutions adaptées à notre situation particulière. Et nos interlocuteurs (ministère, DRAC, ville) semblent souvent plus intéressés par les tuyaux que par les contenus. Et cela ne fonctionne pas, il est difficile de mettre des contenus dans des tuyaux inadaptés. »

RESTRICTIONS BUDGETAIRES

F.-X. Hauville remarque en ouverture du programme édité pour la saison : « de façon singulière, dans le paysage culturel d’Orléans, La Scène nationale a subi d’importantes coupes budgétaires. Depuis 1992, le budget n’a jamais été abondé en fonction du coût de la vie. Soit un manque de 1,5 millions euros. Et, cette année nous avons perdu 300 000 euros de subventions ». Résultat : « la part artistique s’en trouve directement atteinte, écrasée par l’augmentation des coûts de fonctionnement. Nous payons les charges de fonctionnement des trois structures abritées par le théâtre d’Orléans, ainsi que celles d’autres utilisateurs, essentiellement l’Orchestre symphonique d’Orléans. » F.-X. Hauville souligne que dans cette situation, « sur un budget de 4 millions d’euros, nous n’avons plus que 250 000 euros de marge artistique. La Scène nationale n’a désormais que peu de moyens à consacrer à la production, à la coproduction. Effet pervers, nous ne pouvons plus aller au bout de la démarche de production de nos créations. Ces amputations de budget nous ont contraints cette année à diviser par deux le nombre de spectacles présentés par rapport à l’année dernière. Perte immédiate : 15 000 spectateurs. Nous pouvons lutter contre une certaine fatalité sociale, pour démocratiser, mais quand ils m’enlèvent la moitié de ma marge artistique, ils nous mènent dans une impasse. »
F.-X. Hauville met en cause l’idéologie qui sous-tend la doxa sur les nécessaires restrictions budgétaires : « cette remise aux normes budgétaires est effectuée sans véritables choix, avec beaucoup de cynisme. Les institutions la justifient au nom de la nécessité générale des restrictions budgétaires. Et tout le monde finit par trouver cela normal. Pour moi, c’est complètement idéologique. » Et ce n’est pas « sans retombées collatérales dramatiques. Cela induit l’idée qu’il n’est pas grave que la culture voit son budget diminuer et que les citoyens n’en voit pas l’importance ». Rappelons que le budget de la culture c’est 1% du budget national !

L’OFFRE OU LA DEMANDE ?

Fleur Pellerin, a suscité récemment un débat vif en opposant l’offre actuelle des institutions culturelles aux supposées demandes des publics. Une manière particulièrement populiste de définir la mission des lieux de culture.
Comment réagissent les décideurs culturels à l’idéologie sous-tendue par ce point de vue. F.-X. Hauville, fort de son expérience, répond fermement : « Je ne comprends pas que la Ministre en soit là. Cela prouve qu’elle ne s’occupe pas beaucoup de ses affaires et qu’elle n’a pas pris beaucoup de leçons depuis son arrivée. Devons-nous programmer ce que les gens attendent ? Remplir une salle avec des têtes d’affiche, ce ne serait pas compliqué. Je pense même que je pourrais atteindre le « petit » équilibre. Les vrais libéraux considèrent que ceux qui veulent aller au théâtre n’ont qu’à payer. Au lieu de proposer la place à 15 euros, ce sera 80 ou 100 euros. Ils ont droit de dire qu’ils vont mettre les théâtres en gestion chez monsieur Ladreit de Lacharièrre et que sa société financière Fimalac va s’occuper de tout. Mais, dans la mesure où l’on m’a confié la direction d’une Scène nationale et la gestion de son cahier des charges, je refuse de mettre de l’argent public pour diffuser des spectacles qui peuvent trouver leur public dans des circuits privés. Notre cahier des charges est tout autre. Notre mission s’articule clairement autour d’une politique de l’offre. Nous croyons à des artistes, nous présentons leur travail. Nous montrons des œuvres qui peuvent étonner, émouvoir, troubler. Notre volonté est d’amener devant un public des créations qu’ils n’a aucune chance de voir ailleurs. »
Le débat « offre ou demande », ici comme pour de nombreuses institutions culturelles subventionnées, n’est pas que théorique. F.-X. d’Hauville, comme tous les responsables en ce domaine, a déjà vécu ce genre de pressions. Fleur Pellerin, en relançant ce vieux débat, n’a fait que déstabiliser un peu plus l’ensemble des acteurs culturels qui sont déjà dans une situation financière critique. Et la politique d’élargissement des publics se trouve mise en cause dans le même mouvement.

DEMOCRATISATION

Comment élargir le cercle des initiés ? Comment mettre en pratique cette question obsédante répétée comme un mantra. Quelle est la méthode Hauville ?
« Quand je suis arrivé, il n’existait aucune action artistique et culturelle dans cette maison. Nous l’avons mise en place. Nous avons rassemblé plusieurs fois une petite troupe d’amateurs autour d’un chorégraphe ou d’un circassien. Le plaisir pris à travailler avec ces artistes a été communicatif, irradiant dans la population comme par capillarité. Nous avons si peu de moyens que nous ne le faisons qu’à une petite échelle. Pourtant, nous avons ainsi réussi à créer un vivier de 500 à 600 personnes qui transmettent le message. C’est irremplaçable. »
Les jeunes sont la cible prioritaire pour le renouvellement des publics.
« Ils n’ont pas les barrières qu’on imagine. L’idée convenue est qu’ils n’écoutent que du rap, etc... Nous les faisons venir avec leur professeur pour écouter Schoenberg, Berg, Boulez, Barraqué et nous nous apercevons qu’ils adorent. Ils n’ont pas les oreilles « formatées » par la musique classique. Nous avons plus de mal à faire venir les élèves du Conservatoire. La première fois que j’ai constaté leur présence dans la salle, je me suis réjoui ; en fait, c’étaient les élèves des professeurs du lycée qui avaient amené leurs copains du Conservatoire. Nous avons beaucoup rajeuni les publics. La méthode consiste, bien sûr, à travailler avec les lycées, mais il s’agit également de faire entrer dans la maison commune ceux qui n’y mettent jamais les pieds. Par exemple, nous investissons le hall, chaque mois, avec un concert de jazz gratuit. Nombreux sont les spectateurs pour qui c’est une première. L’important c’est que tout le monde puisse venir ici. Cela passe par des politiques tarifaires, bien sûr, mais aussi par des incitations, par exemple en organisant des rencontres. Je crois beaucoup à la capillarité dans la société mais il faut du temps pour en observer les effets. Quand nous avons fait nos performances, pour la première fois il y a sept ans, c’était presque un coup de bluff. Nous en avons présenté deux, Chandelier de Steven Cohen et P.P.P. de Philippe Ménard, deux fois, deux jours de suite. Nous avons totalisé 70 personnes au mieux. Maintenant nous présentons des performances pendant 15 jours de suite avec des salles de 500 personnes ! »

Ce lent et patient travail permet donc de déplacer les lignes pour une partie de la population mais est-ce suffisant ? F.-X. Hauville défend la volonté de démocratisation avec une certaine véhémence : « On dit souvent que la démocratisation est un échec mais qu’y avait-il avant cela ? Des tournées Baret ou Karsenty qui s’installaient dans quelques théâtres municipaux. Il n’y avait certainement pas 15% de la population qui les fréquentaient à l’époque. Et, en plus, regardez le nombre d’équipements construits qui sont quasiment pleins, dont les propositions sont largement suivies partout en France. Peut-on qualifier cela d’échec ? Il faut raison garder. »
Le choc subi par le pays à la suite des attentats impose plus que jamais de se demander dans quelle mesure la culture peut lutter contre la barbarie. Pour F.-X. Hauville « la meilleure façon de résister à cette attaque contre la culture, c’est d’en rajouter. Je pense que les gens qui nous gouvernent seraient bien inspirés de réfléchir à ce qu’ils sont en train de faire quand ils coupent les ailes de la culture en coupant les financements ». Nombreux sont ceux qui pensent que la culture, comme l’éducation, est un rempart contre l’ignorance et la barbarie. Le message sera-t-il entendu ?

© Jérôme Grelet/Ludovic Bourreau

A propos de l'auteur
Michel Strulovici

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