Vertige de Guillaume Vincent
Une génération désenchantée
Vertige de l’amour chantait Alain Bashung. Vertige du désir, vertige de la représentation, vertige du théâtre. Ce sont tous ces éblouissements que Guillaume Vincent, auteur et metteur en scène, a choisi de nous faire ressentir.
Vertige raconte l’histoire d’un groupe de sept jeunes comédiens d’une École de théâtre. Certains signes évoquent celle du Théâtre du Nord. Ce pourrait être le TNS où l’auteur a exercé son talent. La pièce nous parle de la génération qui a traversé vingt ans d’une histoire bouleversante (2001-2021) et qui pourrait reprendre à son compte l’avertissement de Paul Nizan dans Aden Arabie : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. Tout menace de ruine un jeune homme : l’amour, les idées, la perte de sa famille, l’entrée parmi les grandes personnes. »
Fracassants seront les trois coups du levée de rideau. A peine ces jeunes gens ont-ils commencé à investir la pièce de Feydeau Mais ne te promène donc pas toute nue que les Twin Towers explosent. Des milliers de personnes disparaissent dans ces attentats terroristes. Tragique entrée dans le deuxième millénaire. Leur histoire, notre histoire, est marquée dès lors par le bouleversement profond de toute la société occidentale. Le SIDA continue de sévir, la représentation du réel est confiée par les marchands à Loft Story, l’extrême droite se qualifie pour le deuxième tour des élections présidentielles et puis le confinement enferme cette jeunesse qui voit la chute de ses projets.
Mais, au-delà de ces choses vues et vécues par toute « une génération désenchantée » telle que Guillaume Vincent la définit, le plus remarquable reste l’art et la manière dont ce groupe de jeunes nous disent leur rapport au monde. Guillaume Vincent nous donne les clés de son projet : « En mesurant l’écart entre ma génération et la leur, je leur propose donc d’écrire une fiction. Raconter une époque, raconter une école et imaginer sept destins qui, sur deux décennies, se croisent, se séparent, se retrouvent [...] Cette pièce s’est écrite comme un roman d’apprentissage, un roman de formation, un conte initiatique. »
D’un même mouvement, la symbiose s’accomplit entre les textes représentés et la vie de ces jeunes gens. Impossible de démêler le réel de sa représentation. Cette subtile manière de troubler le message, de nous perdre dans un labyrinthe, nous dit avec intelligence combien vie et théâtre sont liés. Par son effet miroir, l’ensemble donne le vertige. Une scène parmi d’autres semble exemplaire du projet. Au cours d’une répétition de Platonov, une violente dispute met aux prises ce héros cynique et désespéré et son épouse Alexandra Ivanovna, mais tout nous laisse entendre, au même instant, que les deux acteurs, vivent dans la réalité, ce même amour impossible. Comment démêler le faux du faux, du vrai. La mise en abyme est particulièrement réussie et réjouissante. Assister à la naissance d’une troupe talentueuse multiplie notre plaisir.
Vertige (2001-2021), un spectacle écrit et mis en scène par Guillaume Vincent. Texte écrit en collaboration et joué par Suzanne de Baecque, Adèle Choubard, Maxime Crescini, Simon Decobert, Joaquim Fossi, Solène Petit, Rebecca Tetens. Dramaturgie : Constance de Saint Rémy. Collaboration artistique : Marion Stoufflet. Scénographie : Hélène Jourdan. Lumières : Sébastien Michaud. Costumes : Lucie Ben Bâta. Son :Tom Ménigault. A Paris, Théâtre des Bouffes du Nord du 23 mars au 8 avril. Durée : 2h40.
En partenariat avec le théâtre Nanterre-Amandiers.
www.bouffesdunord.com
© Simon Gosselin
Tournée
Du 12 au 14 avril 2023 - La Comédie de Reims, Centre Dramatique National
Du 25 au 27 avril 2023 - Centre Dramatique Besançon France-Comté Du 6 au 9 juin 2023 - TNB, Rennes, Centre Européen Théâtral et Chorégraphique