Elias de Mendelssohn à la Philharmonie de Paris
Elias comme un char de feu
Stéphane Degout et Raphaël Pichon signent une interprétation saisissante du vaste oratorio de Mendelssohn.
- Publié par
- 17 décembre 2023
- Critiques
- Opéra & Classique
- 0
-
À LA FIN D’ELIAS, LE PROPHÈTE est emmené sur un char de feu. C’est à travers l’Europe, lui, que Raphaël Pichon emmène la partition de Mendelssohn, au fil d’une tournée commencée au Konzerthaus de Vienne et qui s’achèvera à Amsterdam après être passée par Dijon, Paris, Essen et Hambourg. Il faut rappeler ici que cet oratorio fut créé en anglais à Birmingham, en 1846, sous le titre Elijah, avant d’être repris l’année suivante en allemand, à Hambourg, cette fois sous le titre Elias. À Paris, c’est la Philharmonie qui a accueilli le Chœur et l’Orchestre Pygmalion ainsi qu’une équipe de solistes d’où se distingue naturellement Stéphane Degout, titulaire du rôle-titre.
Stéphane Degout avait été Elias, déjà, en 2012 à La Chaise-Dieu et quatre ans plus tard à la Philharmonie de Paris, en allemand et sous la direction de Raphaël Pichon. Le cru 2023 le trouve au sommet de son art. Stéphane Degout sait faire de son timbre, en soi fort beau, un instrument de douleur et d’interrogation ; ne pas détimbrer dans la tessiture la plus grave est en soi un exploit, mais modifier la couleur selon le moment ou le sentiment, est le signe d’une extrême sensibilité et d’une maîtrise technique incomparable. Stéphane Degout est cet artiste, qui fait d’Elias, personnalité assez peu aimable, à la fois autoritaire, implacable et hantée par le doute, un héros déchiré. C’est lui qui conduit l’action (Mendelssohn a conçu Elias comme un oratorio dramatique), car c’est lui qui, dès avant l’ouverture, prend la parole : « So wahr der Herr » (« Aussi vrai que le Seigneur »). Dès lors, de la résurrection de l’enfant (« Gib mir her deinen Sohn ») jusqu’à l’action de grâce finale en passant par la violente confrontation avec les Prêtres de Baal, Elias prend toutes les figures du héros : vengeur, accusateur, libérateur. L’air célèbre « Es ist genug » (« C’en est assez »), chanté en compagnie d’éloquents violoncelles, est un sommet qui résume le poids des sentiments contradictoires qui l’anime.
La voix des hauteurs
Face à ce personnage monumental, Mendelssohn a confié des figures épisodiques, voire des épisodes vocaux anonymes, à trois solistes principaux. Siobhan Stagg prête sa voix de soprano à la Veuve et à un Ange ; clarté de l’émission et exaltation contenue caractérisent une prestation toujours en phase avec l’austérité grandiose de la partition. Avec Ema Nikolovska (un Ange elle aussi, mais aussi la Reine), le contraste des couleurs vocales est bien venu, même si la même chaleur inquiète anime la mezzo dans l’air « Weh ihnen » (« Malheur à eux »). La très bonne surprise vient de Thomas Atkins, ténor lumineux dont la voix combine projection et légèreté. Voilà, dès l’air d’Abdias (« So ihr mich von ganzem Herzen », « Vous me chercherez de tout cœur »), la clarté qui donne de l’envol à cette partition abrupte et sombre qu’est Elias. La voix de Julie Roset (l’Enfant) tombe d’abord du ciel, avant qu’elle rejoigne un trio d’anges situé au fond de la salle, dans une autre partie des hauteurs, manière de donner une dimension toute théâtrale à cet oratorio qui se souvient de Haendel et n’est pas sans rappeler, parfois, Le Paradis et la Péri de Schumann.
On n’étonnera pas en soulignant l’engagement du Chœur Pygmalion, son art extrême des nuances, sa capacité d’exprimer la cruauté tout autant que la douceur, le tout dans une grande clarté polyphonique. L’effectif n’est pas gigantesque, mais l’articulation des pupitres lui donne une belle dynamique. Raphaël Pichon veille par ailleurs a enchaîner les différents numéros de la partition, et à le montrer en gardant les bras levés, ce qui maintient la tension à la fois au sein des exécutants... et du public, lequel tousse (un peu) moins qu’à l’ordinaire. L’orchestre est fait de la même eau que le chœur : fougueux, délicat, composé bien sûr d’instruments d’époque (y compris l’ophicléide), même si l’on peut s’étonner que Raphaël Pichon ait rapproché les violons I et les violons II au lieu de les faire dialoguer de part et d’autre de sa propre estrade. Mendelssohn n’a pas réservé ici aux instruments des pages aussi brillantes que celles qui crépitent dans ses symphonies ou ses ouvertures, gravité du propos oblige, mais il y a une énergie dans Elias qui fit dire à Berlioz : « C’est magnifiquement grand et d’une somptuosité harmonique indescriptible. » On nous permettra d’être du même avis.
Illustration : Stéphane Degout (photo Aliette de Laleu/Radio France)
Felix Mendelssohn-Bartholdy : Elias. Avec Stéphane Degout (Elias), Siobhan Stagg, Ema Nikolovska, Thomas Atkins, Julie Roset. Chœur et Orchestre Pygmalion, dir. Raphaël Pichon. Philharmonie de Paris, vendredi 15 décembre 2023.
Pour les curieux : jusqu’au 1er janvier, l’Opéra de Lyon propose une production scénique d’Elias, signée Calixto Bieito, donnée sous la direction de Constantin Trinks, avec notamment Derek Welton dans le rôle-titre.