Coupures de Paul-Eloi Forget et Samuel Valensi

combat à armes inégales

Coupures de Paul-Eloi Forget et Samuel Valensi

« Est-ce que vous avez l’impression que votre voix compte ? Je veux dire : est-ce que vous avez l’impression qu’en votant vous faites la politique de votre pays ? » Ainsi débute le spectacle qui, d’une manière un peu démagogique, donne au public le statut d’assemblée citoyenne participative mais pointe les maux d’une société qui souffre de la fracture croissante entre les électeurs et leurs représentants, de l’incommunicabilité, tant au point de vue politique, social qu’individuel, qui isole de plus en plus les individus au détriment d’un collectif dilué dans nos smartphones et les réseaux sociaux.
Ecrit par Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget, Coupures met en scène les tribulations d’un maire en zone rurale, agriculteur écologiste qui veut croire à la force des valeurs qu’il défend et tente de s’opposer vaillamment à l’installation d’antennes relais (écho de multiples recours en France contre cette pratique). La confrontation avec la force de frappe d’un grand groupe, démontrera l’impuissance des édiles et des militants les plus convaincus, à ceci près que ce maire trouvera la voie d’une riposte courageuse.
Le sujet est d’autant plus intéressant qu’il renseigne sur les difficultés croissantes des agriculteurs pris au piège de réglementations toujours plus contraignantes, d’augmentations du coût d’exploitation insupportables. Au fait de ces difficultés, il sera aisé pour l’opérateur de faire valoir l’intérêt individuel qu’il y aurait à accepter l’implantation d’une antenne sur son terrain qui procurerait un revenu substantiel et éloignerait les huissiers en embuscade. Contraint de signer pour des raisons de survie économiques, le maire s’inscrit volontairement en situation de conflit d’intérêt, espérant ainsi que le recours citoyen conduira à son procès qui entraînera un scandale et dénoncera les agissements de l’opérateur. Les antennes relais seront installées mais à terme le petit maire rêveur écolo saura trouver la réponse du berger à la bergère. Où l’on voit par là, qu’à l’instar des fables de La Fontaine, le petit peut triompher du grand et que l’engagement personnel peut marquer des points décisifs. Cela est peut-être l’aspect le plus intéressant de la pièce, une invitation à ne jamais baisser les bras.
Malheureusement, le texte pèche à courir trop de lièvres à la fois et pâtit de ses bonnes intentions en versant dans le didactisme. On se perd un peu dans les méandres d’une mise en scène dopée dont les scènes de comédie, pas toujours très subtiles, paraissent plaquées, sauf exception comme la très drôle demande de subventions. Les auteurs n’ont pas trouvé la bonne articulation dans le mélange des genres, entre le drame qui se joue et le second degré des parties de cache-cache dans le style « coucou je suis là », ou la caricature excessive de certains personnages caricaturés sur le mode BD.
Les comédiens incarnent trop souvent un type, excepté Michel Derville et Paul-Eloi Forget, tous deux très justes et convaincants, quel que soit le personnage qu’ils jouent dans la panoplie qui leur a été attribuée.
Malgré les réserves évoquées, Coupures a le mérite de parler d’un secteur économique peu porté à la scène et sonne comme une chambre d’écho aux débats d’actualité en ces temps agités de conflits entre l’Etat et le peuple et d’interrogations sur la question de la démocratie.

Coupures écrit et mis en scène par Paul-Eloi Forget et Samuel Valensi. Avec June Assal, Michel Derville, Lison Favard en alternance avec Emelyne Chirol, Paul-Eloi Forget, Valérie Moinet et Samuel Valensi. Musique, Lison Favard. Lumières, Angélique Bourcet. Scénographie, Julie Mahieu. A Paris, au Théâtre de l’œuvre jusqu’au 30 avril 2023. Durée : 1h30.
© Jules Despretz

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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