Catarina et la beauté de tuer les fascistes de Tiago Rodrigues
Démocratie versus fascisme

En 2028, dans une maison au sud du Portugal, toute la petite famille est réunie. Au menu, le traditionnel revuelto (pieds de porc marinés) cuisiné selon la recette de la grand-mère. Assis devant une grande maison en bois, on bavarde, on se chamaille en attendant de déjeuner autour de la table dressée dans le jardin. Au bout de la grande table, un homme silencieux dont personne ne semble se préoccuper.
Nous sommes loin d’une benoîte réunion familiale ; c’est « une journée de fête, de beauté et de mort ». Tous sont venus pour une traditionnelle cérémonie annuelle des plus macabres qui commémore un événement tragique survenu plus de 70 ans auparavant.
En 1954, sous le régime du dictateur Salazar, lors d’une manifestation sociale, Catarina Eufemia est morte de trois balles dans le dos tiré par un lieutenant. Le soldat qui était à côté de lui et qui n’a rien fait pour l’empêcher était le mari de l’amie de Catarina, témoin horrifié de la scène. Rentrée chez elle, sans une hésitation, sans trembler, elle a tué son mari pour non-assistance à personne en danger, ou plutôt pour complicité de meurtre et a juré que chaque année à la même date « un fasciste tombera pour n’avoir rien fait en regardant tomber une femme ». Elle a laissé une lettre adressée aux générations futures, leur enjoignant d’être rebelles, toutes des Catarina qui refusent de se taire devant l’injustice.
L’homme assis au bout de la table est le gibier de l’année, un fasciste kidnappé qui attend sa dernière heure. Il s’appelle Romeu, tous les autres sont Catarina, pour ce jour-là. C’est au tour de la plus jeune de tuer son premier fasciste. Mais, la mécanique s’enraye à cause de cette petite insoumise qui refuse de tirer et commence à poser des questions dérangeantes. Nous voilà au cœur brûlant du débat. Tuer un fasciste par an est un symbole sanglant qui n’exterminera jamais le fascisme. Faut-il répondre à la violence par la violence ? N’y a-t-il pas de meilleure façon de faire justice ? Est-on sûr d’avoir bien compris le message de Catarina Eufemia ? Le ton monte entre les membres de la famille, la discorde à son comble débouche sur un drame à l’occasion duquel le prisonnier prend la poudre d’escampette. Cette bonne aubaine fait de lui un héros. Galvanisé, Le fasciste surfe sur la vague ; parvenu, grâce à ses ennemis, à l’apothéose de son parcours politique, il harangue la foule avec un discours fleuve sidérant, qui charrie un ramassis nauséabond de mensonges, de contre-vérités, de poncifs, d’idées reçues caractéristiques du fascisme à en donner la nausée.
Tiago Rodrigues signe une redoutable fable politique admirablement mise en scène et interprétée par une équipe de comédiens excellents. La performance finale de Romeu Costa est particulièrement impressionnante ; il poursuit imperturbablement son discours sous les quolibets du public qui joue le jeu de cette protestation organisée, cabale politique, provocation qui, entre fiction et réalité, tire le spectateur par la manche. Le fascisme n’est plus une simple menace, il est bien là, installé aux manettes du pouvoir.
Catarina et la beauté de tuer des fascistes de Tiago Rodrigues. Mise en scène, Tiago Rodrigues. Avec António Afonso Parra, António Fonseca, Beatriz Maia, Carolina Passos Sousa, Isabel Abreu, Marco Mendonça, Romeu Costa, Rui M. Silva. Scénographie F.Ribeiro. Lumières, Nuno Meira. Costumes, José Antonio Tenente. Création et design sonore, musique originale Pedro Costa. Au théâtre des Bouffes du Nord, jusqu’au 30 octobre, du mardi au samedi à 21h, dimanche à 17h. Durée : 2h30.
www.bouffesdunord.com
Textes aux éditions Les solitaires intempestifs, 2020.
Tournée
– 7 et 8 novembre 2022 à La Garance - Scène nationale de Cavaillon
– 9 novembre 2022 au Théâtre d’Arles
– 12 et 13 novembre 2022 au Centre Culturel André Malraux à Vandoeuvre-lès-Nancy - 15 et 16 novembre 2022 à Evry
– 18 et 19 novembre 2022 au Théâtre Joliette à Marseille
– 22 et 23 novembre 2022 à la Maison de la Culture d’Amiens
– 25 et 26 novembre 2022 au Théâtre d’Angoulème
– du 29 novembre au 1er décembre 2022 à la Comédie de Reims
– 3 et 4 mars 2023 au Quai – CDN d’Angers
– 6 avril 2023 au Théâtre Edwige Feuillère de Vesoul