Ouverture de la saison musicale 2024-2025 de Radio France
À Radio France par deux fois
Mois de septembre oblige, les formations musicales de Radio France ont fait leur rentrée dans le bel auditorium de la Maison de la radio et de la musique* inauguré il y a déjà dix ans.
- Publié par
- 15 septembre
- Critiques
- Opéra & Classique
- 0
-
C’EST LE 14 NOVEMBRE 2014 qu’a été ouvert au public l’Auditorium de la digne et imposante maison installée depuis 1963 au 116 de l’avenue du président-Kennedy à Paris. Et c’est dans cette salle, où en dix ans ont eu lieu deux mille concerts et ont été accueillis deux millions d’auditeurs et spectateurs, que les formations musicales de Radio France (les deux orchestres, le chœur et la maîtrise) donnent l’essentiel de leurs prestations. Comme l’exige la coutume, l’Orchestre national ouvrait sa saison un jeudi, suivi par l’Orchestre philharmonique et la Maîtrise le lendemain, le Chœur de Radio France donnant pour sa part le premier concert de sa saison le dimanche 15 septembre en compagnie bien sûr de son directeur musical Lionel Sow.
De la guerre au hautbois d’amour
Chacun des deux concerts d’ouverture apportait sa surprise ou sa nouveauté. Le 12 septembre**, c’est la Symphonie n° 2 d’Elsa Barraine (1910-1999) qui était située au milieu du programme, entre deux pages plus célèbres de Brahms et Debussy. Cette symphonie fut commandée par le ministère de l’Éducation nationale et des beaux-arts, démarche alors nouvelle de la part de l’État, et créée en 1938 par l’Orchestre national de la radiodiffusion française, précisément, sous la direction de son patron d’alors, Désiré-Émile Inghelbrecht. Cette symphonie, Elsa Barraine l’a sous-titrée « Voïna » (« la guerre » en russe) : selon la compositrice elle-même, « en 38, on savait bien qu’il y aurait la guerre, il aurait fallu être fou pour ne pas s’en apercevoir ». Musicalement, l’œuvre se compose de trois mouvements assez brefs (un Allegro vivace menaçant, une Marche funèbre, un Finale « à l’allure de danse populaire, comme une renaissance », expliquent Cécile Quesney et Mariette Thom) et se souvient à la fois d’Honegger, de Florent Schmitt, voire du Chostakovitch de la Cinquième Symphonie. Elle sonne avec énergie et clarté sous la baguette de Cristian Măcelaru, sans qu’on ait envie pour autant de crier au chef d’œuvre.
Le fameux Concerto pour violon de Brahms avait ouvert la soirée, joué avec la chaleur et la virtuosité qu’on imagine par Julia Fischer, avec un Orchestre national on ne peut plus solide, qui aurait gagné en souplesse si l’on s’était contenté d’aligner non pas six mais quatre contrebasses ; l’écriture orchestrale de Brahms n’est pas la moins massive qu’on connaisse, inutile de trop étoffer les effectifs. A contrario, c’est un vaste orchestre que convoque à dessein Debussy, à la faveur de ses Images, données ici dans un ordre inédit : Gigues, puis Rondes de printemps, enfin Iberia (cette partie, conçue elle-même comme un triptyque – « Par les rues et par les chemins », « Les parfums de la nuit », « Le matin d’un jour de fête » – étant habituellement située au centre de manière à souligner la construction symétrique de l’ensemble des Images). Quelle volupté d’entendre un hautbois d’amour à ce point évocateur dans les Gigues ! L’Orchestre national est familier de cette partition virtuose, où l’énergie et les motifs circulent incessamment d’un pupitre à l’autre. Voir de près l’orchestre aborder ce type de musique est une expérience stimulante.
Les nuits, le gouffre
Le lendemain, l’Orchestre philharmonique de Radio France, avec la participation de la Maîtrise, nous offrait lui aussi une surprise, en l’occurrence la création d’une œuvre nouvelle de Tatiana Probst (née en 1987), également chanteuse et ancienne maîtrisienne : Du gouffre de l’aurore, sur un poème de son cru où sont évoquées les questions éternelles (la vie, la nuit, le soleil, la liberté) face à l’impénétrable Nature. Page d’une seule coulée, en trois moments (dramatique, lent, de plus en plus rapide), cette œuvre sollicite volontiers les percussions et s’achève par une espèce de danse générale déhanchée, qui se clôt de manière abrupte.
Auparavant, Lea Desandre avait interprété Les Nuits d’été de Berlioz avec ce timbre de mezzo clair qu’on lui connaît, une belle intelligence du texte et un sens du théâtre toujours présent, même s’il est souterrain, qui rappelle combien la chanteuse est aussi convaincante au concert qu’à l’opéra. Un peu comme chez Debussy, il est captivant de voir à l’œuvre l’orchestre de Berlioz, même s’il ne s’agit pas de celui de la Fantastique ou du Requiem ! La délicate éloquence des interventions des bois, les cordes en sourdine, les crépitements de la harpe (dans « Le Spectre de la rose ») donnent aux musiciens du Philhar l’occasion de montrer l’aisance avec laquelle ils évoluent dans cette musique.
Strauss ou comment trouver l’éclaircie
La soirée, construite sur le thème « nature et vivant » qui soutiendra l’ensemble de la saison de l’Orchestre philharmonique, se terminait avec la Symphonie alpestre de Richard Strauss, qui est en réalité un gigantesque poème symphonique conçu sous la forme d’un crescendo-decrescendo, avec un bel orage au cours de la descente. Dans Salome ou Elektra, Strauss utilise un très vaste orchestre mais réussit à ménager la clarté et à laisser leur place aux voix ; dans sa musique symphonique, curieusement, son écriture se fait plus épaisse, et c’est vrai en particulier dans cette Symphonie alpestre où abondent les tutti. À quoi bon demander à quatre cors d’alterner avec quatre wagner-tuben si l’on distingue à peine la différence entre le timbre des deux instruments, noyés dans le flot sonore ? À quoi bon offrir de grandes séquences solistes (d’ailleurs splendides) au cor anglais et inviter aussi un heckelphone (le cousin du hautbois baryton, pour aller vite) si le son de ce dernier n’est pas mis en valeur comme pouvait l’être, la veille, le hautbois d’amour chez Debussy ?
Strauss semble ne pas savoir quoi faire de l’abondance des ressources instrumentales à sa disposition (on pourrait en dire autant des nombreux cuivres en coulisse, qui ne produisent pas l’effet de lointain qu’on attendrait, tant l’écriture est serrée, ou de l’éoliphone, bien moins à son avantage que le bâton de pluie chez Tatiana Probst) alors qu’un Mahler, avec un effectif comparable, sait étager les plans sonores et donner du relief à sa musique. On est d’autant plus reconnaissant au Philhar et à son chef d’avoir réussi à nous guider sans faillir à travers cette œuvre profuse. Et à la salle de ne pas avoir laissé l’avalanche sonore nous ensevelir.
La saison de concerts de Radio France est lancée. Que ceux qui n’ont pas eu l’occasion de goûter la proximité avec laquelle la musique résonne dans l’Auditorium s’y précipitent sans tarder !
Illustration : Cristian Măcelaru et Mikko Franck (photos Christophe Abramowitz/Radio France)
* Puisque tel est le nom exact de la Maison de Radio France.
** Ce concert était dédié à la mémoire du compositeur Alain Moëne, disparu le 20 août dernier, qui a pendant plusieurs décennies occupé des postes essentiels à la tête de France Musique, de l’Orchestre national, du festival Présences, etc.
Brahms : Concerto pour violon et orchestre ; Elsa Barraine : Symphonie n° 2 ; Debussy : Images pour orchestre. Julia Fischer, violon ; Orchestre national de France, dir. Cristian Măcelaru.
Berlioz : Les Nuits d’été ; T. Probst : Du gouffre de l’aurore ; R. Strauss : Symphonie alpestre. Lea Desandre, mezzo-soprano ; Maîtrise (dir. Sophie Jeannin) et Orchestre philharmonique de Radio France, dir. Mikko Franck.
Maison de la radio et de la musique, 12 et 13 septembre 2024.