La Sixième Symphonie de Mahler à Radio France

Tragique et furieuse

Sous la direction de Mikko Franck, la Symphonie « tragique » de Mahler emplit sans le saturer l’Auditorium de Radio France.

Tragique et furieuse

LA SIXIÈME SYMPHONIE DE MAHLER EST BIEN connue des musiciens de l’Orchestre philharmonique de Radio France. Eliahu Inbal et Myung-Whun Chung, pour ne citer qu’eux, les ont emmenés dans cette partition furieuse qui ne permet aucun répit sauf à l’instant de l’Andante, qui contraste crûment avec les trois autres mouvements. La place de cet Andante, dans le déroulement de la symphonie, a donné du fil à retordre à Mahler lui-même qui, le soir de la création de la symphonie, à Essen en 1906, décida in extremis de placer en deuxième position ce mouvement lent, et donc le scherzo en troisième, contrairement à ce qu’il avait choisi de faire lors de la générale, quelques heures plus tôt. Au fil des éditions de la symphonie et des interprétations, le compositeur n’adopta pas de position définitive, même si, à l’audition, il paraît plus convaincant de donner en deuxième position le scherzo (qui reprend, en le déformant, les thèmes du premier mouvement), et de permettra au finale, après l’accalmie de l’Andante, de causer la surprise. C’est le parti qu’a pris Mikko Franck à l’occasion de son récent concert.

La Sixième pourrait passer pour classique dans son agencement : elle comporte les quatre mouvements traditionnels, chose qui n’était pas arrivée depuis la Première Symphonie, la Quatrième comportant un lied inattendu (et merveilleux) en guise de finale ; et elle ne fait pas appel aux voix. Mais c’est d’une forme dilatée qu’il s’agit ici, qui exige des instrumentistes une énergie hors du commun, et du chef un sens de la construction qui, à défaut, ferait tomber cette vaste architecture. Mahler ne craint pas d’ailleurs, dans le premier mouvement, d’indiquer une reprise textuelle de l’exposition, ce qui nous fait repartir du début au bout de cinq bonnes minutes ! (Curieusement, Bernard Haitink, pourtant mahlérien émérite, omet cette reprise dans l’enregistrement effectué pour Naïve sur le vif en octobre 2001, au Théâtre des Champs-Élysées, avec l’Orchestre national de France.)

Hautbois et célesta

La taille de l’Auditorium de Radio France, relativement réduite (et c’est une vertu : mille quatre cents places, voilà une excellente jauge pour se sentir au cœur même de la musique), permet au très grand orchestre de Mahler de se déployer à l’aise, et l’Orchestre philharmonique, avec ses bois par cinq, ses neuf cors et le reste à l’avenant, remplit l’espace sans jamais le saturer. Tout reste parfaitement clair, y compris dans les tutti les plus serrés, même si la disposition viennoise des instruments (les violons I de part et d’autre du chef, les contrebasses en ligne tout au fond) n’est pas en l’occurrence adoptée. Des détails ignorés surgissent ici et là, telle cette partie de célesta, dans le premier mouvement, habituellement noyée dans l’ensemble. Les cors font entendre une polyphonie savante, et l’on goûte plus que jamais la manière dont ce musicien hors pair qu’est Olivier Doise fait chanter son hautbois (ce qui n’enlève rien, bien sûr, aux autres pupitres). Les percussions enserrent littéralement l’orchestre, avec à gauche, derrière les violons, un xylophone très présent, et à droite le fameux marteau vers lequel, musicien devenu bourreau, marche à pas lents celui qui est appelé à frapper les deux coups fatidiques. L’effet n’est jamais émoussé, l’Allegro moderato se fait un instant marche au supplice.

« La symphonie doit être pareille à l’univers entier, elle doit tout embrasser », disait Mahler. Son contemporain Sibelius cultivait au contraire la concision et réussit le tour de force, au fil de ses sept symphonies, de tendre vers le dépouillement, voire l’abstraction, tout en composant une musique d’une sensualité grisante. Nous avons hâte de retrouver le Philhar et son directeur musical dans une intégrale des symphonies de Sibelius. Il suffira de trois concerts : rendez-vous à Radio France les 10, 11 et 12 avril prochain.

Illustration : couverture de l’édition pour piano à quatre mains, signée Zemlinsky, de la Sixième Symphonie de Mahler (1906) ; photo dr

Gustav Mahler : Symphonie n° 6. Orchestre philharmonique de Radio France, dir. Mikko Franck. Auditorium de Radio France, 16 février 2024.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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