À Radio France, le festival Présences invite Steve Reich

Steve Reich, une présence (II)

Le compositeur américain est cette année le héros du festival que Radio France consacre à la musique de notre temps.

Steve Reich, une présence (II)

STEVE REICH EST CETTE ANNÉE le héros du festival Présences, dont la 34e édition a lieu jusqu’au 11 février prochain. Steve Reich est une personnalité célèbre, dont beaucoup connaissent le nom sans être au fait des péripéties de la musique dite contemporaine. Steve Reich, c’est une double affirmation : celle d’une musique américaine qu’on appellera « sérieuse » ou « savante », faute d’autre mot, qui a réussi à s’affirmer face à la tradition multiséculaire européenne ; et celle d’une musique qui est parvenue, également, à se libérer des injonctions post-sérielles venues elles aussi de la vieille Europe. D’où cette impression de nouveauté éprouvée il y a quelques décennies, d’où aussi cet intérêt, de la part de Reich et de nombre de compositeurs des États-Unis, envers des musiques tenues pour secondaires : musiques traditionnelles, blues, jazz, pop, etc. Comme l’écrit Pierre Charvet, délégué à la création musicale à Radio France, « avec la musique minimaliste, le public de la pop, curieux de nouvelles aventures, mais peu familier des musiques de Boulez, Berio ou Stockhausen, pouvait enfin, et sans grands efforts, pénétrer le monde de la création contemporaine, ou en tout cas, s’en donner l’illusion pour un temps ».

Tout commence bien sûr par l’ouverture

Le premier concert du festival, dans l’auditorium de Radio France, a permis de se faire une idée de l’esthétique de Reich. Si Reich/Richter (allusion à la complicité qui lie le compositeur au peintre Gerhard Richter) a été créé en 2019 à New York, Jacob’s Ladder (« L’Échelle de Jacob »), co-commande de Radio France, est donné ici en création française. Sans qu’il s’agisse d’un oratorio (contrairement à l’œuvre inachevée de Schönberg, Die Jacobsleiter, pourvue du même titre), Reich y renoue avec la culture et la religion hébraïques. Au-delà de l’esthétique du compositeur, on goûte l’extrême précision doublée d’une extrême subtilité avec lesquelles l’Ensemble intercontemporain aborde cette musique. Les notes frémies des vibraphones sont d’une douceur extatique, les changements de nuances enjôleurs. Et l’on sourit à l’idée que l’EIC n’aurait peut-être pas abordé cette musique il y a vingt ou trente ans.

Ce concert permettait aussi d’assister à la création de deux œuvres commandées par Radio France : In Time Like Air de Josephine Stephenson, jolie page pour ensemble aux sonorités cristallines, et Close-Ups d’Héloïse Werner, interprétée par la compositrice elle-même et la violoniste Hae-Sun Kang. Une page joyeuse qui rappelle les performances de Cathy Berberian ou, plus près de nous, de Françoise Kubler, entre chant, cris, onomatopées, etc., sur le thème : « Il faut peu de mots, seuls des sons pour faire vivre des personnages. » Rappelons que Josephine Stephenson et Héloïse Werner sont deux anciennes élèves de la Maîtrise de Radio France.

Et le lendemain…

Le concert du 7 février, donné au Studio 104 de Radio France, était attendu entre tous. Mais avant de se lancer dans l’une des œuvres les plus fameuses de Steve Reich, dont il est familier, l’Ensemble Links avait eu l’idée de nous faire entendre Evil Nigger de Julius Eastman (1940-1990), bloc de sons frénétique pour quatre pianos amplifiés, et de nous offrir la création de be twin d’Ève Risser, une pièce qui part des confins de la lenteur et, après un développement à la fois savant et concis, s’achève de manière abrupte.

Mais le clou de la soirée, bien sûr, c’est Music for 18 Musicians (1986), qui pourrait presque résumer l’art de Steve Reich. « Les déplacements des percussionnistes forment […] dans cette œuvre un fascinant ballet, écrit Hélène Cao dans le très riche livre-programme du festival Présences. En sus d’être écoutée, Music for 18 Musicians mérite tout autant d’être vue. » Ce qui est curieux, c’est que nous éprouvons la même sensation avec « Jeux de vagues », le deuxième volet de La Mer de Debussy*. La musique de Reich est faite elle aussi de vagues, les quatre chanteuses se rapprochant et s’éloignant avec obstination de leur micro, les percussions martelant des sections rythmiques obsédantes, les clarinettes apportant cette houle qui fait monter la musique et la creuse alternativement. On pense à ce passage des Mémoires de Berlioz : « Il se répète, va dire le lecteur. Ce n’est que trop vrai. […] Comment ne pas me répéter ? La mer se répète ; toutes ses vagues se ressemblent. »

Ce qu’il faut remarquer, c’est le soin mis par Radio France dans le choix des ensembles invités pour interpréter la musique de Reich. L’ensemble Links fait preuve lui aussi d’une maîtrise confondante sous la direction de Rémi Durupt (il faut le voir, lui aussi, au milieu de ses musiciens, s’assurer que le mouvement est donné et maintenu, opiner du chef, prendre à son tour les percussions : Habeneck, il y a cent ans, devait avoir pareille allure, à ceci près qu’il dirigeait de son violon). Et l’ovation debout qui salue sa prestation est immédiate, spontanée, sincère, sans rien qui soit convenu comme la plupart du temps lors de ce type de manifestation. C’est aussi le signe que le festival Présences, à force de perspicacité, a trouvé son public. Chose qui nous avait frappé lors de l’édition 2022, consacrée à Tristan Murail, qui avait déjà été saluée par un public enthousiaste. La musique qu’on appelle, faute de mieux, contemporaine (qu’il faut distinguer des musiques dites actuelles !!!), ne serait donc pas condamnée à la malédiction du ghetto ?

Illustration : Steve Reich par Christophe Abramowitz (Radio France)

* Ces « Jeux de vagues » nous firent un jour écrire : « Il faut voir cette page exécutée par les instrumentistes d’un orchestre pour prendre conscience de la fragmentation des motifs, de leur entrelacs, de la manière dont les couleurs se tuilent ou se juxtaposent. »

Festival Présences, Radio France, jusqu’au 11 février.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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