Opéra National de Paris - Bastille

Le Nez

Chostakovitch mené par le bout du nez

Le Nez

C’est à Bastille mais cela vient d’ailleurs : l’Opéra National de Paris a accueilli sur son plateau et dans ses murs les effectifs au grand complet d’une production venue de Saint-Pétersbourg : Le Nez de Chostakovitch par Valery Gergiev à la tête de l’orchestre et des chœurs de son Théâtre Mariinski dans une mise en scène de Yuri Alexandrov. Soit une armée d’une quarantaine de solistes, d’une dizaine de danseurs, d’une vingtaine de choristes et de tous les musiciens de l’orchestre qui deux heures durant se sont ébroués sur scène et dans la fosse en une gigantesque parade musicale et visuelle.

75 ans après sa création à Leningrad

Ce Nez tiré, non pas des vers, mais de la prose d’une nouvelle de Gogol et mis en opéra par un Chostakovitch de 24 ans vient donc enfin d’entrer au répertoire de l’Opéra de Paris, soixantaine quinze ans après sa création au Théâtre Maly de Leningrad. Où il ne connut qu’une très brève existence avant d’être interdit par le Soviet Suprême pour cause d’anarchisme et de hooliganisme musical. Ressuscité triomphalement en 1974 à Moscou, il connaît depuis quelques années un sacré regain de popularité dans nos frontières. On a pu le voir récemment à Angers et à Nantes dans une production franco-suisse et à la Cité de la Musique par l’Opéra de Chambre de Moscou dans une approche de théâtre de foire facile à transporter d’un théâtre à l’autre. Diamétralement opposée à la superproduction quasi hollywoodienne que viennent de proposer Gergiev et sa remuante tribu.

Une fable qui tient à la fois du conte de fées et du cauchemar

Hollywood par la richesse des moyens mais en version Marx Brothers par l’esprit et la drôlerie. Ce Nez-là est né du burlesque avec pour berceau le surréalisme. Une fable qui tient à la fois du conte de fées et du cauchemar, l’improbable saga de l’appendice nasal du notable Platon Kouzmich Kovalev qui prend la poudre d’escampette pour vivre sa vie, laissant son propriétaire naturel à l’état de paria. Car dans un monde régi par la bureaucratie, un homme sans nez n’a plus sa place. Dans ses Récits de Pétersbourg, Gogol en fait une satire féroce des mœurs de l’époque tsariste de Nicolas 1er et invente du même coup de maître le fantastique en littérature. Près d’un siècle plus tard, le jeune Chostakovitch y puise la matière d’une critique de son propre temps et en profite pour y injecter toutes les ressources musicales que son jeune génie a grappillées autour de lui, aussi bien les leçons d’atonalité de Schönberg (notamment mises en œuvre dans le Woyzeck d’Alban Berg qui vient alors d’être créé) que les rengaines populaires de sa Russie, avec ses instruments de folklore comme les balalaïkas.

Une exubérance où les cuivres sont rois

Dix gags à la minute, des décors qui volent, des images qui défilent sur grand écran, un tunnel en charpente métallique façon Baltard, allongé en perspective (clin d’œil à la Perspective Nevski, la rue principale de Pétersbourg dont il est question dans la nouvelle et dans l’opéra), des tireurs de pousse-pousse barbus, des immeubles couchés, un « nez » fantôme contorsionniste, une parodie de Napoléon, des crinolines fleuries... Et une troupe électrique qui se donne des airs de gamins en cour de récréation mais qui chante, danse et joue la comédie avec une verve étourdissante. Bien sûr il doit y avoir dans ce déluge d’images et de sons mille et une astuces et allusions locales qui nous échappent, jeux de mots et pieds de nez, bien sûr, de toutes les humeurs, notamment dans la projection de textes où les lettres cyrilliques s’inversent et se chevauchent. Mais qu’importe, le plaisir est contagieux et Gergiev et ses musiciens y contribuent en fanfares joyeuses sacrifiant les mélancolies et les intimités chambristes originales au profit d’une exubérance où les cuivres sont rois.

Le Nez de Dimitri Chostakovitch par l’orchestre, les chœurs et les solistes du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg, mis en scène par Yuri Alexandrov, sous la direction musicale de Valery Gergiev. Opéra National de Paris Bastille, les 14,15,18 & 19 novembre 2005.

Photo : Eric Mahoudeau / Opéra National de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook