Festival de Radio France et Montpellier
Fedra de Ildebrando Pizzetti
Résurrection réussie d’un opéra oublié
- Publié par
- 19 juillet 2008
- Critiques
- Opéra & Classique
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Dans l’annuelle moisson de découvertes et redécouvertes de René Koering, directeur du festival de Radio France et Montpellier et surintendant de la musique de la même ville, la récolte 2008 a rapporté un premier bouquet capiteux : Fedra de Ildebrando Pizzetti, tragédie lyrique composée sur un livret de Gabriele d’Annunzio créé à la Scala de Milan en 1915.
Si le nom de l’écrivain, auteur de Francesca di Rimini et de La Joconde – 1863/1938 - est resté familier malgré son adhésion au parti fasciste de Mussolini, celui du musicien qui l’accompagna dans la même démarche politique est resté au purgatoire. La redécouverte de l’un de ses principaux opéras constitue non seulement une curiosité mais réserve une bonne surprise. Parfaite illustration de la musique de son temps et de sa terre, viscéralement liée à la tradition italienne du mélodrame, elle cherche à s’affranchir tout à fois de Wagner, de Debussy et de Puccini, mais s’imprègne - malgré elle – des mouvances innovées par ces trois « pères » incontournables. A l’arrivée une sonorité ample, romantique et romanesque à la fois, avec de larges plages illustratives qui pourraient de nos jours se muer en musique de film. Sans oublier la part due aux liturgies qui, dans les chœurs, notamment au début du troisième acte s’expriment en splendeur.
Baiser volé
La Fedra/Phèdre de Pizzetti/d’Annunzio est de chair et de passion. Rarement l’indigne amoureuse aura été montrée, fouillée pourrait-on dire, avec une telle tension physique. Femme jusqu’au bout des sens, elle aime, elle désire ce tout jeune homme nommé Ippolito/Hyppolite, fils de Teseo/Thésée, son guerrier de mari. L’annonce de sa mort arrive comme une délivrance, comme un feu vert donné à ses pulsions… Elle ne résiste pas, vole à pleine bouche un baiser au jeune homme endormi. Qui, une fois réveillé, s’enfuit au grand galop… Mais la mort de Thésée n’était qu’une rumeur, il revient en héros avec la promesse d’un glorieux mariage pour son fils. Phèdre/Fedra va souffrir, mentir, salir celui qu’elle désire et qui la repousse, prétendre qu’il l’a violée… Thésée voue alors aux ombres de l’enfer cet enfant qu’il croit coupable. Les ombres obéissent. Hyppolite se fracasse contre un rocher. Phèdre avoue puis boit le poison qui la mettra enfin en paix avec elle-même…
Splendeur sonore
La version de concert exécutée au Corum de Montpellier aurait gagné à être, même légèrement, mise en espace, ou tout au moins bénéficier d’une petite direction d’acteurs pour que les personnages s’adressent l’un à l’autre, notamment dans les duos qui sont de toute beauté. Mais même en version de concert classique, avec les chanteurs à l’avant scène face au public, l’émotion passe et la splendeur sonore, sa sauvagerie parfois, se répand comme la marée d’un océan. La musique de Pizzetti transcende le lyrisme déchaîné, voire ampoulé, du livret de d’Annunzio.
Hasmik Papaian, soprano arménienne, est une Fedra/Phèdre douloureuse et convaincante, le ténor argentin Gustavo Porta, révèle en Ippolito/Hyppolite, un timbre d’une magnifique clarté et une diction impeccable. Enrique Mazzola dirige avec autant de fermeté que d’agilité les excellents instrumentistes de l’Orchestre National de Montpellier.
Reste à espérer qu’une maison d’opéra se décide à programmer une version scénique de ce bel échantillon de passion et d’italianissime musique.
Le festival de Radio France et Montpellier se poursuivra jusqu’au 31 juillet. Au rayon des raretés exhumées, on pourra découvrir une Esméralda de Louise Bertin et Victor Hugo le 23 juillet et la création de La Salustia de Pergolèse dans une mise en scène de Jean-Paul Scarpitta les 27 et 28 juillet.
Renseignements, réservations : +33 (0)4 67 02 02 01 www.festivalradiofrancemontpellier.com
crédit photo : © Marc Ginot