Des femmes et un loup-garou

Des compositrices on ne peut plus différentes se succèdent à l’occasion d’un concert dirigé par Hervé Niquet.

Des femmes et un loup-garou

IL Y A QUELQUE CHOSE D’ARTIFICIEL à vouloir réunir des œuvres écrites par des compositrices, comme si celles-ci faisaient partie d’un continent à part, préservé ou sacrifié, comme s’il existait une sensibilité dite féminine innervant telle partie du patrimoine musical. Mais oublions ces considérations, et goûtons le concert que nous a offert l’Orchestre de chambre de Paris, dans le cadre du foisonnant Xe Festival du Palazzetto Bru Zane. Au programme : des œuvres de compositrices dites romantiques (nous n’essaierons pas ici de définir ce mot qui a connu tant d’acceptions diverses depuis deux siècles et demi !), toutes françaises, mais dont la cohorte a tout l’air d’une auberge espagnole. Quel rapport entre Louise Farrenc et Louise Bertin, quel lien entre Mel Bonis et Marie Jaëll, à part qu’il s’agit là de compositrices femmes, selon l’heureuse appellation de notre temps ?

Tout commence par l’Ouverture du Loup-Garou (1827) de Louise Bertin (1805-1877), dont le Fausto ne nous avait pas entièrement convaincu il y a quelques jours. Mais il y a cette fois dans cette ouverture énergique des souvenirs de Boieldieu et surtout un solo de flûte magnifié par l’Orchestre de chambre de Paris, qui fait sonner cette musique avec une belle transparence. Suivent les Variations sur un thème du comte Gallenberg de Louise Farrenc, jouées avec quelque chose d’intrépide par le pianiste David Kadouch, qui aborde sans manières cette musique tout d’une pièce, qui ne cherche pas la métaphysique et trouve son accomplissement dans une interprétation plus physique qu’intellectuelle.

La Nuit et l’amour d’Augusta Holmès (1847-1903), qui nous a habitués à mieux (si tant est que l’on puisse parler d’habitude à propos d’une musicienne que l’on connaît depuis fort peu de temps), a quelque chose d’une scène de ballet un peu mièvre, cependant que la valse Du cœur aux lèvres de Jeanne Danglas (pseudonyme de la mystérieuse et furtive Rosalie Crabos) procèderait presque de la chanson et de la musique de film. Est-il scandaleux de citer Maurice Yvain, Georges Auric, voire Georges van Parys après avoir écouté une fois (une seule fois !) cette valse ?

Comparaison n’est pas raison

On change de nouveau de style avec la Suite en forme de valses de Mel (pour Mélanie) Bonis (1858-1937), solide, charpentée, instrumentée avec goût, la dernière pièce du cycle étant la plus déroutante (donc la plus séduisante) sur le plan du rythme. Non, nous ne succomberons pas une fois de plus au jeu des comparaisons, non, nous ne dirons pas qu’il y a ici quelque chose de Grieg !

On a cité la flûte, mais quel bonheur d’entendre un cor anglais aussi poignant, aussi enveloppant que celui de l’Orchestre de chambre de Paris dans des extraits de Mazeppa de Clémence de Grandval (1828-1907) ! Créé en 1892 à Bordeaux, Mazeppa est le dernier opéra de Grandval, qui s’était formée auprès de Flotow (l’auteur de Martha) et de Saint-Saëns. On n’entend ici que deux brèves pages (un Entr’acte et une Danse ukrainienne) de cet opéra qui est peut-être d’une tout autre violence que cette musique discrètement colorée.

Mais voici venir le clou du concert : le Concerto pour piano n° 2 de Marie Jaëll (1846-1925), qui est en réalité une vaste fantaisie pour piano et orchestre. Certes, il y a là trois mouvements, mais ils sont enchaînés et leur densité contribue à l’impression de tumulte qui sourd de cette partition sombre, véhémente (il y a même un tuba dans l’orchestre), qui n’a rien d’un concerto académique. Saint-Saëns a dû jeter les bras au ciel en écoutant cette musique en forme de houle, qui trouve sa forme en la cherchant. La partition exige du pianiste une dextérité infatigable, notamment dans le deuxième mouvement qui arrive sans crier gare (l’œuvre, comme on l’a dit, étant conçue d’un seul tenant) et fait tintinnabuler l’aigu du clavier. Sommes-nous encore chez Liszt ? Déjà chez Rachmaninov ? Mais non, nous sommes chez Marie Jaëll, la plus étonnante, la plus inventive des musiciennes réunies ce soir.

Saluons une fois de plus la vélocité de David Kadouch, qui découvre avec nous cette musique (et nous offre en bis une très belle page de Fanny Mendelssohn), et le sens des proportions et des équilibres dont fait preuve Hervé Niquet, qui ne gomme rien des penchants pour la valse de telle ou telle des pièces réunies ce soir. Pour célébrer un répertoire, n’est-il pas nécessaire, d’abord, d’y mettre sa foi ?

Illustration : Mel Bonnis a-t-elle été rayée de l’Histoire ? (dr)

Œuvres de Louise Bertin, Louise Farrenc, Augusta Holmès, Jeanne Danglas, Mel Bonis, Clémence de Grandval, Marie Jaëll. David Kadouch, piano ; Orchestre de chambre de Paris, dir. Hervé Niquet. Théâtre des Champs-Élysées, 23 juin 2023.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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