Des arbres à abattre d’après Thomas Bernhard

Magistrale création de Krystian Lupa

Des arbres à abattre d'après Thomas Bernhard

Publié en 1984, ce texte s’inscrit au cœur de la relation conflictuelle ambiguë, que l’écrivain et dramaturge autrichien entretenait avec son pays, dont il dénonçait les lâchetés et les compromissions. S’inspirant de ses relations personnelles avec le monde artistique et culturel, il tisse ici avec férocité et humour le tableau d’un microcosme représentatif de la société viennoise. Aux obsèques d’une amie commune, Joana Thul, jeune artiste alcoolique abandonnée par ses pairs et acculée au suicide, l’écrivain croise les époux Auersberger, musiciens parvenus dans l’art officiel, qui l’invitent à “ un dîner artistique ”, auquel participent deux femmes, l’une se prend pour Virginia Wolf, l’autre pour Gertrude Stein, et deux jeunes écrivains. Ils sont bientôt rejoints par un comédien du Burgtheater, imbu de son succès dans le rôle de Ekdal du Canard sauvage d’Ibsen. Regrettant sa présence à la soirée qui devient chaotique, l’auteur observe, dissèque, commente, analyse, les situations avec … “Une irritation ” (sous-titre de l’œuvre), face aux stupidités philosophiques et sociales affirmées, aux egos pitoyables ou dérisoires et autres compromissions, portés par des personnages calamiteux de la comédie humaine. Dans lesquels certains ont pu se reconnaître, puisque un procès fut tenté pour suspendre la diffusion de cette œuvre dès sa parution.

Un théâtre exemplaire

Le grand metteur en scène polonais, aujourd’hui septuagénaire, a toujours eu un penchant pour les œuvres littéraires. Il a notamment abordé à cinq reprises l’écriture de Bernhard, en particulier au Stary Teatr de Cracovie à partir des années I990, mais il n’a jamais sans doute manifesté dans son adaptation une telle fusion aussi fine et intelligente avec l’auteur, en sachant la faire partager. Egalement scénographe, Krystian Lupa, a installé un salon bourgeois a l’arrière de parois vitrées, qui prend l’allure d’un vivarium consacré à l’étude des espèces. Au dessus, un écran reçoit en ouverture une vidéo en noir et blanc, pour une confession émouvante de Joana, dont l’ombre plane sur la soirée et concourt au développement des propos de l’assemblée. La manière dont Lupa articule ce monologue intérieur, lui offre une résonance particulièrement actuelle, par ses juxtapositions de phrases, ses rythmes, ses suspensions et silences, sans artifices superflus, Une mise en vie de la parole, portée par la formidable interprétation des treize comédiens polonais de grand talent, Une création qui constitue aussi une belle leçon de théâtre.

Ce spectacle magnifique sera à l’affiche de l’Odéon –Théâtre de l’Europe durant l’année 2016. A ne pas rater.

Wycinka Holzfällen (Des arbres à abattre) d’après Thomas Bernhard, adaptation, mise en scène, scénographie et lumière, Krystian Lupa, avec Bolzena Baranowska, Krzesislawa Dubielowna, Jan Frycz, Anna Ilczzuck, Michel Opalinski, Marcin Pempus, Halina Rasiakowna, Piotr Skiba, Adam Szczyszczaj, Andrzej Szeremeta, Ewa Skibinska, Marta Zieba, Wojciech Ziemianski. Costumes Piotr Skiba, vidéo Karol Rakowski, arrangements musicaux Bogumil Maria. En langue polonaise surtitrée en français. Durée 4 heures 30

Odéon - Théâtre de l’Europe du 30 novembre au 11 décembre 2016.

Photo Christophe Raynaud De Lage

A propos de l'auteur
Jean Chollet
Jean Chollet

Jean Chollet, diplômé en études théâtrales, journaliste et critique dramatique, il a collaboré à de nombreuses publications françaises et étrangères. Directeur de publication de la revue Actualité de la Scénographie de 1983 à 2005, il est l’auteur de...

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