Du 8 décembre 2023 au 29 avril 2024 à la Comédie-Française

Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand

Une mise en scène sans panache

Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand

On compte environ soixante-dix mises en scène de la pièce depuis sa création en 1897 au théâtre de la Porte Saint-Martin avec le célèbre Constant Coquelin (dit L’Aîné pour le distinguer de son frère lui aussi comédien) dans le rôle-titre de la pièce d’Edmond Rostand, sous-titrée comédie héroïque. Rostand, pourtant en mal d’inspiration, compose une pièce très longue, en vers, à l’heure où le théâtre est en prose, qui, plus qu’une comédie, tient du drame romantique, genre qui avait laissé la place au vaudeville qui faisait fureur sur le boulevard du Crime. Un pari audacieux à contretemps de la mode, une provocation qui se solda par un triomphe immédiat. Depuis plus de cent vingt ans, Cyrano a fait rêver metteurs en scène et comédiens avec plus ou moins de bonheur ; la pièce n’a pas pris une ride, qualité des plus grands chefs-d’œuvre. On se régale autant de l’histoire que de la beauté élégante du style, de la faconde du personnage, des traits à fleuret à peine moucheté contre les travers du temps.
Le Cyrano d’Emmanuel Daumas s’inspire du vrai Savinien Cyrano de Bergerac (auteur des Les Etats et empires du soleil, 1662), représenté en son temps avec un nez énorme, détail anatomique à partir duquel Rostand brode son histoire qui, sur fond de bataille militaire (le siège d’Arras en 1640, une des batailles de la guerre de Trente ans), met en scène un triangle amoureux ingénieusement composé. Il aura suffi d’un regard pour que la belle Roxane tombe amoureuse du séduisant Christian. Christian, conscient de ses limites, n’ose pas déclarer sa flamme à la belle jeune fille. Cyrano propose alors d’associer son talent littéraire à la beauté du cadet de Gascogne, formant ainsi un être fictif parfait. L’un a le physique disgracieux mais la grâce de l’écriture, l’autre a la beauté mais ne sait pas aligner trois mots bien tournée pour écrire un billet amoureux. Cyrano trouve là le moyen de dire son amour à sa cousine par le truchement de Christian. Elle comprendra trop tard qui elle a aimé sans le savoir.
On peut comprendre que les metteurs en scène cherchent à renouveler le point de vue sur une œuvre, mais encore faut-il faire une proposition lisible.
Le spectacle d’Emmanuel Daumas s’ouvre sur une scène de music-hall, estrade au centre, rideau dont les lames dorées font miroiter la lumière, on attend l’entrée de Zizi Jeanmaire (dont le talent n’est pas en cause !), mais c’est Cyrano qui déboule, transporté, sur le plateau par une tyrolienne depuis un balcon, tel un Tarzan gascon. Bigre ! À peine débarqué à l’hôtel de Bourgogne, il houspille et met dehors le méchant comédien Montfleury emplumé comme pour une parade animale. L’allusion à son tempérament suffisant est un peu grossière. Que les hommes jouent les personnages féminins, pourquoi pas, mais pourquoi les ridiculiser dans des costumes grotesques ? À moins que ce ne soit une référence gratuite à l’hypothétique homosexualité du vrai Cyrano. Ce pauvre cadet dans sa culotte bouffante rose bonbon est bien assorti au décor rose et bleu ; on se croirait dans le monde sucré de Barbie, surtout chez le pâtissier Ragueneau (Laurent Stocker, très juste, fort à l’aise sous la toque) avec cet étalage de gâteaux en plastique aux couleurs écœurantes. Quant au Cyrano de Laurent Laffite, il manque de profondeur, d’ambiguïté, d’humanité. Jennifer Decker compose une Roxane inhabituelle, moderne sur un mode qui fonctionne bien. Le Christian de Yoann Gasiorowski est touchant, tout d’une pièce.
Cyrano a de l’honneur et ne se prête pas à toutes les extravagances ; contrairement à l’ardent Gascon, cette mise en scène est sans panache. En 2006, dans cette même salle Richelieu, la mise en scène de Denis Podalydès (2006) était un bel hommage à Rostand, avec un Michel Vuillermoz inoubliable dans le rôle de Cyrano.

Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. Mise en scène : Emmanuel Daumas. Dramaturgie : Laurent Muhleisen. Scénographie : Chloe Lamford. Costumes : Alexia Crisp-Jones.Lumières : Bruno Marsol. Musiques originales et son : Joan Cambon. Avec Laurent Stocker, Nicolas Lormeau, Jennifer Decker, Laurent Lafitte, Yoann Gasiorowski, Birane Ba, Nicolas Chupin, Adrien Simion, Jordan Rezgui et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française Pierre-Victor Cabrol, Alexis Debieuvre, Elrik Lepercq. A la Comédie-Française, jusqu’au 29 avril 2024. Durée : 2h55 avec entracte.
www.comedie-francaise.fr

© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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