Opéra National de Montpellier

Cyrano de Bergerac

Alagna, le cœur et le panache

Cyrano de Bergerac

On pourrait jouer au jeu des sept familles. Ainsi dans la famille Alagna, on demanderait le frère et on en aurait trois pour le prix d’un : Roberto, Sicilien de France, ténorissimo qui roucoule avec un égal bonheur Roméo, Werther, Rodolfo ou Luis Mariano, puis David et Frederico qui s’essaient à la mise en scène et aux décors de ce Cyrano de Bergerac que Franco Alfano (1875-1954) semble avoir composé spécialement pour eux.
L’occasion est belle en tout cas de redécouvrir une œuvre musicale totalement oubliée, mais dont le modèle parlé, signé Edmond Rostand, continue de faire les beaux soirs des théâtres et même du cinéma (le film d’Alain Corneau avec Gérard Depardieu illustre joliment la réussite du genre).

Au temps de Strauss, Debussy et Puccini

Napolitain, longtemps installé à Paris, Alfano connut de belles heures de gloire de son vivant, auteur de plusieurs opéras mis au placard depuis longtemps et dont seuls subsistent une Leggenda di Sakuntala et ce Cyrano enfin exhumé. Il vivait au temps de Richard Strauss, de Claude Debussy et de Giacomo Puccini et sa musique brasse allégrement leur style. Il avait tant et si bien assimilé le vériste Puccini qui laissa inachevé Turandot, son dernier opus, qu’on lui demanda d’en composer la fin. Ce dont il s’acquitta honorablement et qui continue son bonhomme de chemin. En terme de couture, on pourrait dire de lui qu’il était un bon faiseur, livrant du travail bien fait, bien fini, sur mesure mais sans grande originalité. Si Alfano n’a guère innové, il a en revanche parfaitement assimilé les particularités de ses contemporains. Son Cyrano de Bergerac, créé en 1936 d’abord en italien puis en français, en témoigne en parfait échantillon, avec un début très puccinien et une fin à la fois sobre et dramatique où l’on retrouve la veine théâtralisée du Debussy de Pelléas et Mélisande.

Le texte, adapté par Henri Cain, serre au plus près celui de Rostand à une notable exception : la célèbre tirade des nez n’a pas été mise en musique. Il n’en reste que quelques bouts de vers et le refrain de leur conclusion « à la fin de l’envoi, je touche »... Pour les amoureux de « l’oblongue capsule » et du perchoir tendu aux oiseaux, c’est un peu frustrant.

On se croirait chez Jérôme Savary

La production de l’Opéra National de Montpellier relève, côté mise en scène et décors, d’un premier degré tellement naïf qu’on ne sait pas trop s’il faut en rire ou s’en offusquer. « Au moins c’est facile à comprendre », commente un spectateur plutôt goguenard. Une muraille en carton-pâte marron découpée par des arcades sert de base aux différents lieux, de la taverne de Raguenau au cloître où s’est retirée Roxane. Rien ne manque à l’imagerie qui défile d’acte en acte, pas la moindre fumée, pas le plus petit détail de lierre grimpant sur les balcons ou de canon crachant les obus de la bataille d’Arras. Il y a même un cheval vivant qui traverse la scène et se fait applaudir comme s’il avait accompli un numéro de cirque. On se croirait chez Jérôme Savary, mais sans le recul, la dérision et ce clin d’œil roublard qui en fait le charme.

Roxane, de Nathalie Manfrino, aux aigus de verre filé

Marco Guidarini, à la tête de l’Orchestre National de Montpellier, défend comme il se doit la partition et l’esprit qui la sous-tend, l’élégance et la bravoure. En Christian un peu mou, un peu pleutre, le ténor américain Richard Troxell fait oublier qu’il est le seul à ne pas être français dans une distribution honnête et homogène, où se détache la délicieuse, l’émouvante Roxane de Nathalie Manfrino, aux aigus de verre filé, « révélation artiste lyrique de l’année » aux dernières Victoires de la Musique. Et surtout celui qui est attendu, adoré, adulé : Roberto Alagna et son grand nez postiche, sa science de la scène, sa diction impeccable et son souffle qui porte aux cimes les ors légers de sa voix. Si dans les deux premiers actes il semble se fier à plus de métier que de générosité, il réussit en fin de parcours à rendre à son personnage ce qu’il lui doit : le panache et le cœur.

Cyrano de Bergerac, de Franco Alfano, livret d’Henri Cain d’après Edmond Rostand, orchestre et choeur de l’Opéra National de Montpellier, direction musicale Marco Guidarini, mise en scène et décors David et Frederico Alagna, costumes Christian Gasc, avec Roberto Alagna, Nanthalie Manfrino, Richard Troxell, Phlippe Georges, Pierre-Yves Pruvot, Jean-Luc Ballestra, Christine Tocci, Richard Rittelmann, Grégoire Guérin - Opéra Berlioz/Le à Montpellier - les 16,19 & 22 mars 2006.

Crédit photos : Marc Ginot / Opéra National de Montpellier

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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