Angela de Susanne Kennedy

Huis clos iconique

Angela de Susanne Kennedy

D’entrée de jeu, Susanne Kennedy annonce l’essentiel de sa démarche. Lorsque le spectateur pénètre dans la salle, il a le regard happé par un décor coloré à souhait, au design rigoureux, parsemé de divers accessoires un peu particuliers.

Manifestement c’est un lieu de vie, qui, d’ailleurs contient une occupante de chair et d’os assise sur un matelas. Rien de très intrigant. Sauf que cet endroit est rendu insolite car parcouru par un bandeau informatif défilant en boucle comme dans ces journaux muraux lumineux installés sur des façades de certaines métropoles ou comme ces indications agaçantes surajoutées en bas d’images par les télés d’infos en continu.

Bien avant que la pièce ne commence officiellement ( hormis la présence réelle de celle qu’on apprendra être Angela), une bande son répétitive se déroule. Systématiquement. Selon un rythme plutôt modéré. Elle prend son temps, comme la représentation qui suivra, freinée, ralentie, éloignée de ce qu’on imagine de la réalité assez trépidante d’une citadine influenceuse installée dans l’univers virtuel de l’informatique.

Dès l’arrivée de Brad, le compagnon du personnage principal, les mots du dialogue résonnent sans précipitation dans l’installation sonore car les comédiens jouent en play back. Leur parole s’en trouve distanciée. En quelque sorte artificialisée. Tout comme les gestes et les mouvements corporels qui semblent un rien entravés. Et lorsque ce premier protagoniste quittera le plateau, ce sera après avoir tenté de mordre dans une pomme qu’il repose dans un compotier en disant ostensiblement : « Elle est fausse ». Désormais tout est donc bien en place : ce que nous allons voir n’appartient pas à ce qu’on appelle, à ce qu’on dénomme le réel.

Tout le spectacle se déroule avec une distanciation, un étalement temporel qui ne laissent guère place à l’émotion. C’est un bel objet, élégant, quasi parfait, peaufiné par Markus Selg, écrin d’une existence qui s’interroge à propos de son sens sans vraiment y parvenir. Alors tout se déroule d’une manière mécanique et l’apparition de la mère, très typée, n’est pas une surprise. Pas tellement plus que celle d’une amie. S’y adjoint, par contre, dans le jeu et hors le jeu, une musicienne ambigüe qui jouera en direct, presque immatérielle par son apparence bizarroïde en accoutrements et comportement à connotations mythologiques.

La métamorphose du lieu en une sorte de jeu vidéo mêlant des fantasmes et des perspectives étranges, pas davantage que quelques effets stroboscopiques, n’emporte les esprits vers un imaginaire palpitant. Tout se passe selon un processus réfléchi, codé, façonné, spectaculaire sans ostentation d’effets spéciaux brutaux. Difficile dans ces conditions de vibrer à des démonstrations acoquinées avec la psychiatrie comme l’accouchement par la bouche d’un bébé identifiable à la mère et toutes les théories qui en découlent. Difficile de se laisser emporter par des visions futuristes défilant sur une scène devenue monumental écran géant.

Malgré une fin au cours de laquelle Brad, en partant, croque à belles dents la pomme factice du début, nous n’avons pas vraiment pénétré dans la réalité de la monotonie du quotidien, infusée à travers la banalité volontaire des dialogues. Nous avons apprécié un bel objet esthétiquement intéressant, des comédiens affichant une forte présence en dépit des artifices, une musique en direct porteuse d’ambiances. A nous demander maintenant si le virtuel est capable d’avoir une âme.

14 juillet (19h), 15-16 (19h – 23 h), 17 (19h) Gymnase du Lycée Aubanel
Durée : 1h45

Interprétation :Tarren Johnson, Ixchel Mendoza Hernández, Dominic Santia, Kate Strong, Diamanda La Berge Dramm (musique en direct)
Voix : Ethan Braun, Tarren Johnson, Rita Kahn Chen, Susanne Kennedy,
Diamanda La Berge Dramm, Ixchel Mendoza Hernández, Ruth Rosenfeld,
Dominic Santia, Marie Schleef, Rubina Schuth, Cathal Sheerin, Kate Strong
Conception, texte, mise en scène : Susanne Kennedy
Conception, scénographie : Markus Selg
Dramaturgie : Helena Eckert
Musique : Richard Alexander, Diamanda La Berge Dramm
Lumière : Rainer Casper
Son : Richard Alexander
Vidéo : Rodrik Biersteker, Markus Selg
Costumes : Andra Dumitrascu
Production exécutive : Ultraworld Productions
Production déléguée : Something Great
Coproduction Wiener Festwochen (Vienne), Festival d’Automne à Paris, Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris), Festival d’Avignon, Holland Festival (Amsterdam), Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles), National Theatre Drama - Prague Crossroads Festival, Romaeuropa Festival, Teatro Nacional de São João, Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz (Berlin)
Soutien : Fondation Ammodo, Kulturstiftung des Bundes, Beauftragte der Bundesregierung für Kultur und Medien
Photo © Christophe Raynaud de Lage

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre » (2006-2021)....

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