Soudain, chutes et envols de Laurent Vacher et Marie Dilasser
L’éveil juvénile au sentiment amoureux
Soudain, chutes et envols est une invitation à l’exploration des sentiments amoureux chez les très jeunes gens - baptême du monde du désir et de l’amour pour la construction de soi, pouvoir saisir encore ce qu’on espère de la vie amoureuse, ce qui en a été perçu du milieu familial et social.
Pour Laurent Vacher, initiateur du spectacle, Fragments d’un discours amoureux (1977) de Roland Barthes a été une référence. A travers 80 fragments, l’essayiste emblématique décortique les façons d’aimer, de s’interroger sur sa capacité à aimer et à être aimé - s’aimer et aimer l’autre.
De la volonté du metteur en scène, l’auteure Marie Dilasser fait partie de l’aventure : irrespect des conventions, pertinence, humour cinglant, non conformisme, sens de l’observation, dramaturgie éclatée, ruptures et fantaisies au service d’un sens poétique qui s’allie naturellement au sujet.
En reformulant les Fragments de Barthes en questions, ont été recueillies les réponses d’enfants/adolescents de 8 à 14 ans, et de personnes âgées, en Lorraine, d’Homécourt à Mancieulles en passant par Joeuf, et La Charité-sur-Loir. S’ensuit un travail à l’ESCA - Ecole supérieure de comédiens par l’alternance, Studio Théâtre d’Asnières - avec les apprentis comédiens.
« Je cueille une fleur en t’attendant. Une anémone. Pour l’accrocher dans tes cheveux. Et puis je cueille des bleuets. Huit. En t’attendant. Des asters. Cinq. Des tulipes. Trois. Aucune nouvelle de toi et encore des anémones. Une anémone, tu viendras. Un bleuet, tu ne viendras pas. Une aster, tu m’aimes. Une tulipe, tu te fiches de moi. Une anémone, tu viendras… » ( Extraits de Soudain…)
Le corps des acteurs exprime mieux les sentiments que les mots : le texte de Marie Dilasser prolonge encore les mouvements du corps - regards, caresses, frôlements évocateurs.
« 4. Comme jaloux, je souffre quatre fois : parce que je suis jaloux, parce que je me reproche de l’être, parce que je crains que ma jalousie ne blesse l’autre, parce que je me laisse assujettir à une banalité : je souffre d’être exclu, d’être agressif, d’être fou et d’être commun. » (Fragments…)
Les souffrances du jeune Werther dans les Fragments ont inspiré le spectacle - sentiments et formulation, ceux de Werther comme de Charlotte, celle-ci pourtant dans une moindre mesure.
Aussi la parole est-elle donnée ici aux demoiselles, les situations sont vues d’un regard féminin. Ambre Dubrulle, Constance Guiouillier, Inès Do Nascimento, trois personnalités, trois corps, trois imaginaires-guides, qui jouent alternativement la fille, le garçon, la princesse ou l’aviateur.
Mimiques charmantes, petits arrangements et bouderies, les sensations se déclinent à l’envi.
Dans une scénographie bi-frontale installée à l’extérieur, sous les arbres, dans un parc ou jardin public propice aux rencontres romantiques, aux mystères, aux buissons, aux lieux discrets ou secrets, les figures féminines ou masculines allègres et joyeuses, bruyantes ou bien fâchées, jouent l’enfance et expérimentent les situations d’un désir qui découvre la vie - humour et légèreté.
Feuilles de papier tombant d’une petite boîte, fumée dégagée soudainement, versement inattendu d’eau, on s’amuse de quelques riens grâce à la magie souriante de Benoît Dattez et grâce à la fraîcheur de trois actrices qui ne ménagent pas leurs efforts - courses, repliements sur soi et répliques incisives qui n’en finissent pas d’évaluer, d’apprécier et de bousculer la passion d’aimer.
Un spectacle délicat dans lequel le public se reconnaît et fait amende sentimentale honorable, qu’il soit du côté de l’aimant ou bien de l’aimé, bousculé et remis en question toujours, sans nul repos.
Soudain, chutes et envols, librement inspiré de Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, texte de Marie Dilasser, mise en scène de Laurent Vacher. Accessoires, décors Olivier Fauvel, effets magiques Benoit Dattez, costumes Virginie Alba. Avec Ambre Dubrulle, Constance Guiouillier, Inès Do Nascimento. Du 7 au 26 juillet 2022 à 10h40, relâche les 13 et 20 juillet, à La Manufacture, Jardin de Saint-Chamand Avignon OFF.
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage