Opérette à Ravensbrück

Survivre en conjurant le pire

Opérette à Ravensbrück

Conçue par Germaine Tillion pour maintenir le moral de ses co-détenues du camp de Ravensbrück, cette opérette devait leur permettre de supporter l’attente d’une libération incertaine par les alliés, fin 1944. Un étonnant mélange d’humour ironique qui dénonce le fonctionnement du système nazi.

Germaine Tillon (1907-2008), grande résistante, a fait son entrée au Panthéon en 2015. La mise en scène de son témoignage rédigé en cachette à Ravensbrück révèle une volonté de sabotage du fonctionnement du camp, démonte avec une ironie féroce la tentative des bourreaux de déshumaniser les déportées. Entre jubilation et horreur, cette œuvre atteste la capacité de résistance d’une foi démocratique.

Pas simple de réussir un spectacle qui conserve son aspect de divertissement sans gommer l’horreur concentrationnaire. Pas simple de déclencher des rires au moyen d’un humour grinçant lorsqu’on connaît le poids ressenti par les détenues (les « verfügbar » ou les « disponibles  ») se sachant condamnées à la chambre à gaz dans un avenir plus ou moins proche. Pas simple non plus d’avoir l’honnêteté intellectuelle de ne pas déformer le texte originel. C’est pourtant la réussite de la mise en scène de Claudine Van Beneden et de ses auxiliaires.

L’alternance est un procédé qui fonctionne à merveille : uniformes codés des prisonnières vs costumes balnéaires fantaisistes ; détenues négligées en oripeaux vs conférencier tiré à quatre épingle ; discours aux apparences rationnellement scientifiques vs vocabulaire frondeur débridé ; accessoires technologiques vs ustensiles de bric et de broc ; espaces mornes et rugueux vs lumières pimpantes et clignotantes… L’ensemble de ces oppositions met sans cesse l’action en recul avec la distance nécessaire pour ne pas sombrer dans un tragique superficiel, pour ne pas se diluer dans une gaîté factice tout en exaltant le plaisir de ridiculiser le pouvoir arbitraire.

Tout le spectacle balance entre des extrêmes. L’espace scénique passe sans cesse de la rigidité de l’enfermement à la fantaisie de la fiction. Il se module avec facilité et à vue. Tantôt froideur géométrique de gradins dans un éclairage glacial, tantôt exubérance d’un plateau à coulisses avec mouvance, palpitations, clignotements. La solitude magistrale du conférencier omnipotent et omniscient se voit contrebalancée par la présence collective d’une communauté soudée et solidaire.

La parole sobre du scientifique reste parcimonieuse ; les couplets et les refrains chantés abondent et empruntent des rythmes différents, mènent à des présences réelles de musiciens complices, s’agrémentent naturellement de chorégraphies. Le fond véhiculé n’est donc pas occulté. Au contraire. Le plaisir d’une comédie n’est pas boudé, il ajoute même un piment supplémentaire car il laisse percevoir la satisfaction de la créativité, le courage audacieux de l’affrontement avec les tortionnaires.

La prestation de la troupe Nosferatu est un modèle à propager en ces temps où nos démocraties vacillent d’avoir été trop faciles, trop naïves peut-être, trop nourries sans doute d’utopie au point de révéler des failles inquiétantes. Si la culture existe pour aider à comprendre, à réfléchir, à douter afin de mieux croire, elle joue tous ses rôles et transmet.

Avignon off Le Chien qui fume 07>30.07.2022 10h30

Avec Solène Angeloni, Angeline Bouille, Isabelle Desmero, Barbara Galtier, Claudine Van Beneden et Raphaël Fernandez
Mise en scène : Claudine Van Beneden

Lire  : Geneviève Tillion, Le Verfügbar aux enfers, une opérette à Ravensbrück, La Martinière, 2005, 224 p.

Arrangements musicaux : Grégoire Béranger, Jean Adam
Scénographie : Blandine Vieillot
Costumes : Marie Ampe
Son : Claude Kérouault ou Bruno Germain
Création lumières : Hervé Bontemps
Régie lumières : Clémentine Gaud , Benjamin Duprat ou Jérôme Aubert (en alternance)
Chorégraphie : Jérémy Pappalardo
Musicien : Grégoire Béranger
Partenaires : Région et DRAC Auvergne Rhône Alpes, Conseil départemental de Haute Loire, Communauté d’Agglomération du Puy en Velay, ADAMI, SPEDIDAM, Ministère des Armées « Direction des patrimoines, de la mémoire et des archives », Fondation d’Entreprise CARAC, Fondation d’Entreprise La France Mutualiste
Coproductions : La Machinerie – Théâtre de Vénissieux, Centre culturel de La Ricamarie, La 2Photodeuche – Lempdes

Photo © Xavier Cantat

Tournée :
Auditorium de Villefrance sur Saône ( 69)
Centre culturel Elsa Triolet à Orly (94)
Centre culturel de Livry Gargan (93)

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre » (2006-2021)....

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