Mon Absente de Pascal Rambert au Théâtre National de Strasbourg.
Dire enfin à l’être cher disparu ce qu’on a toujours tu.
L’auteur et metteur en scène Pascal Rambert a écrit pour onze acteurs choisis une pièce chorale, sur la présence tendue des membres d’une famille autour du cercueil d’un être cher, leur Mère.
Mon Absente découle de « la béance du décès de Véronique Nordey », icône devenue figure fictionnelle, décalée de son modèle. L’Absente fait le lien entre les personnages en lice, portés par des acteurs d’origines et de générations diverses, dont « la verticalité des corps et la chaleur des souffles sont mises à l’épreuve de la disparition et au mystère de la mort, à la déflagration de la perte. Réunis par le deuil, les orphelins gravitent autour d’un cercueil et ses fleurs, point fixe autour duquel naît un ballet - entrées et sorties. Dans un décor de douleur et de recueillement, la parole maintient en vie, tient ensemble, pour le meilleur et pour le pire, les vivants. » (Pascal Rambert).
Apparaît le lien avec l’Afrique, une proximité avec ce continent lointain. Le père de Véronique – le grand-père de Stanislas – était noir. Dans la pièce, l’Absente a vécu à Paris et en Afrique de l’Ouest francophone, au Mali, au Burkina Faso, à Niamey au Niger, à Cotonou au Bénin.
Les figures d’une même famille, au sens large, enfants et petits-enfants de la défunte, une belle-mère d’un des fils, et une compagne d’une des petites-filles.
La défunte, auteure, a à voir avec l’univers maternel de Duras - le destin romanesque et tragique de cette mère au Vietnam. Avec aussi celui de Claire Denis, l’enfance au Cameroun où elle a grandi, au milieu des expatriés commerçants. Des continents aux mêmes résidus de colonisation, de rapport aux terres achetées, au commerce. Enfin, avec Annie Ernaux, et la condition féminine marquant l’écriture de L’Absente.
Dans un espace nocturne, aux limites indistinctes, surgissent des silhouettes et des voix, adressées à l’Absente. Quels liens entre tous et chacun avec elle ? Souvenirs de paroles échangées, de l’évocation de moments poignants : une vie se recompose. Une mémoire où se dessinent les troubles, les paradoxes, les interprétations et les réécritures, en même temps que les portraits attachants des êtres en présence. Le souvenir est vivant et agissant - une force de projection.
Dans la chambre noire, les personnages apparaissent comme fantomatiques, telle une chambre mortuaire profonde et large, plongée dans l’ombre, où trône en son centre le cercueil sur un lit matelassé de gerbes de fleurs blanches qui prennent a contrario toute la lumière lunaire possible.
Les corps surgissent de la pénombre, indistincts avant qu’ils ne s’avancent sur la scène, silencieux, ou prenant la parole alternativement, respectant le lien avec la mère et les autres. Parfois, l’un puis l’autre se saisit de la parole intempestivement, signifiant colère et exacerbation. Autour de la scène, un rideau de voile d’où l’on distingue les protagonistes qui errent, des ombres. Seuls, les écrans lumineux des i-phones, telles des lucioles, éclairent de temps à autre l’espace.
Mata cette idée de ne pas faire de vagues cette situation insensée de deux femmes autour du même homme mon père passant de toi à Mata cette chose admise pas admise tue à Paris tue à Cotonou tue partout pourtant hyper parlante pour nous les enfants qui devions nous y retrouver perdus dans le froid de l’appartement du boulevard Haussmann perdus dans la chaleur infernale de Ouagadougou comment vivre ici ou là-bas tu n’y as jamais répondu tu disais il faut vivre oui…
Ainsi parle Houédo - Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa -, l’un des cinq fils qui font tous le même constat d’une forme d’abandon maternel, entre alcool, activité d’écriture, et manque d’argent fatal. Seul, le plus jeune Vincent - Vincent Dissez - dit s’être épanoui, plus ouvert à l’ambiance festive nocturne où la Mère entraînait l’enfant endormi. Il chante et danse nu à présent dans ces mêmes lieux, et autour du cercueil. Se dévêtant de sa longue robe de soirée, l’interprète danse une forme évanescente où l’on verrait des oiseaux, ceux auxquels s’adresse la soeur - secrète Aurore Bonnet.
Deux fils ont davantage souffert : Laurent, amoureux - Laurent Sauvage -, vêtu d’un costume blanc, d’une présence scénique affirmée, entière et pleine, et Stan - Stanislas Nordey -, costume sombre, qui marche avec une canne, malade, parti vivre loin pour fuir la Mère qui le préférait.
L’aîné, Claude - Claude Duparfait -, se désespère, rejeté pour sa rigidité d’esprit - beau comique. Et Océane Caïraty, Mata Gabin, Ysanis Padonou, Mélody Pini, Claire Toubin sont toutes justes.
Nous ne saurons pas quel est le nom du grand auteur qui officiait au premier étage de l’appartement de 250 mètres carrés du Boulevard Haussmann : la Mère, un siècle plus tard, faisait de même dans son appartement d’étage supérieur - petite pièce noire, « trou » avec oeil de boeuf.
Est mis au jour avec délicatesse l’immensité du chagrin de qui perd un être cher, soit une part constituée de soi qui s’effondre et que l’on s’efforce de rattraper à travers des souvenirs salutaires.
Mon Absente, texte (à paraître aux Solitaires Intempestifs), mise en scène et installation de Pascal Rambert. Avec les artistes associés et les élèves diplômés de l’Ecole du TNS (Groupe 44), Audrey Bonnet, Océane Caïraty, Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa, Vincent Dissez, Claude Duparfait, Mata Gabin, Stanislas Nordey,Ysanis Padonou, Mélody Pini, Laurent Sauvage, Claire Toubin. Lumière Yves Godin, costumes Anaïs Romand, musique Alexandre Meyer. Du 28 mars au 6 avril 2023 à 19h au Théâtre National de Strasbourg 1, avenue de la Marseillaise 67000- Strasbourg. Tournée - Du 3 au 5 janvier 2024 à Annecy, Bonlieu Scène nationale, Du 9 au 19 janvier 2024 à Bobigny, MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis. Du 23 au 25 janvier 2024 à Nice, Théâtre de Nice, Centre dramatique national. Du 30 janvier au 1er février 2024 à Marseille, La Criée, Centre dramatique national.
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez