Du 11 octobre 2024 au 2 février 2025, Salle Richelieu de la Comédie-Française.

Le Suicidé d’après Nicolaï Erdman, mise en scène de Stéphane Varupenne.

Quand le désir de vivre inextinguible met à mal tous les renoncements.

Le Suicidé d'après Nicolaï Erdman, mise en scène de Stéphane Varupenne.

Nicolaï Erdman (1900-1970) n’a pas vu sa pièce créée car censurée jusqu’en 1990 en URSS. Le Suicidé (1928) conte la vie d’un déclassé, chômeur dépressif, près de femme et belle-mère, depuis les pièces réduites d’un appartement communautaire.

Imbroglio et comique d’un soupçon saugrenu dans l’immeuble : le suicide probable du chômeur. Aussitôt, les représentants des ex-classes sociales que Staline et sa collectivisation n’écoutent plus, veulent « récupérer » à leur cause ce Suicidé à venir, lui demandant de revendiquer son geste ultime pour leur gouverne - celle des intellectuels, celle de la religion, de l’amour, des bouchers, des écrivains, des artistes. Il s’ensuit un éclairage magnifié sur le déclassé, mais limité vu sa mort prochaine : la mécanique comique s’enclenche, efficace, d’autant que ce Sémione, l’anti-héros de temps incertains, désire de plus en plus vivre quand la mort le menace.

Terreur, peur, paranoïa, cynisme, opportunisme et délation, lucide est la critique du pouvoir, par des gens ordinaires, pantins dont l’Histoire se joue, laissés-pour-compte de la révolution aux idéaux perdus. Un vaudeville politique noir à l’ironie féroce, mais féerique, surréaliste, selon le metteur en scène Stéphane Varupenne.

L’appartement communautaire se présente d’emblée au public, dans toute sa hauteur, vitres éclairées dans la nuit noire, portes, escaliers, entrées et sorties d’un foyer des années 1930, quand l’espace respectif de chaque famille est compté. Macha - excellente Adeline d’Hermy à la voix sucrée - s’inquiète pour son mari, avachi et alité, à la recherche en pleine nuit d’un saucisson pour calmer son ennui. La mère de Macha n’est jamais loin, impuissante à résoudre toute question ; et Florence Viala, vieillie outre-mesure pour le rôle, joue la partition de figure hébétée.

Autour du trio central, on a plaisir à voir les incarnations de Serge Bagdassarian en représentant des intellectuels, Clément Hervieu-Léger en sujet de la police militaire, Clément Bresson en voisin rustre, mais aussi les autres, Sylvia Bergé au chant pur, assise sur son fauteuil roulant de « petite vieille » inattendue, encore Julie Sicard, Anna Cervinka, Christian Gonon, Yoann Gasiorowski, Adrien Simion, Léa Lopez…

La galerie de ces portraits engage une apothéose collective au moment de la fête organisée avant la mort du futur suicidé - chants, choeur, comédie musicale -, la salle communale sert de salle de fêtes, de sport ou de réunion d’un autre temps.

Un espace trop vaste que les interprètes ont du mal à investir - en dépit de la présence du trio musical - piano, guitare et clarinette - et du choeur, pour une photo grandeur nature de portraits en pied, singuliers mais séparés. La représentation s’essouffle, le rythme dramaturgique pèse de son peu de célérité et de mouvement : mort simulée, cercueil, atermoiements, puis résurrection amusée du mort que ses pleureurs ne soupçonnent pas d’abord - petites lumières chevrotantes dans la nuit.

Par bonheur, la présence scénique de Jérémy Lopez en Suicidé ne manque pas de sel, généreux et vivace, allant et venant sur le plateau, descendant dans l’arène, montant sur un siège de spectateur et s’adressant haut et fier au public - souvenir d’interprétation du rôle-titre de Roméo et Juliette par Eric Ruf, il y a près de dix ans.

Niaque, mordant et détermination à investir un rôle et conscience aiguë du théâtre.

Le Suicidé d’après Nicolaï Erdman, mise en scène de Stéphane Varupenne, texte français et adaptation Clément Camar-Mercier, dramaturgie Clément Camar-Mercier, scénographie Éric Ruf, costumes Gwladys Duthil, lumières Nathalie Perrier, direction musicale et arrangements Vincent Leterme, son Colombine Jacquemont, travail chorégraphique Marlène Saldana, collaboration artistique Thibault Perrenoud. Avec la troupe de la Comédie-Française, Sylvia Bergé, Florence Viala, Christian Gonon, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Adeline d’Hermy, Jérémy Lopez, Clément Hervieu-Léger, Anna Cervinka, Yoann Gasiorowski, Clément Bresson, Adrien Simion, Léa Lopez, le comédien de l’académie de la Comédie-Française, Melchior Burin des Roziers, et les musiciennes et musiciens en alternance Vincent Leterme, Véronique Fèvre, Hervé Legeay, Martin Leterme. Du 11 octobre 2024 au 2 février 2025, en matinée à 14h, en soirée à 20h30, Salle Richelieu de La Comédie-Française, place Colette 75001- Paris. comedie-francaise.fr
Crédit photo : Vincent Pontet, coll. Comédie Française du Suicidé.

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Véronique Hotte

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