Le Monde et son contraire de Leslie Kaplan par Anthony Devaux.

Kafka pour source d’inspiration d’un théâtre burlesque de clown.

Le Monde et son contraire de Leslie Kaplan par Anthony Devaux.

Antoine Devaux - acteur qui veut en découdre sur la scène et faire voir ce dont il est capable - cherche à interpréter Franz Kafka.Traversé de récits, il s’identifie au héros de La Métamorphose. Qu’est-ce que se sentir vermine ? Via le portrait tendu par l’interprète de l’écrivain-icône, qui l’aide à comprendre les contradictions absurdes du monde, il met des mots sur sa propre histoire.

De Kafka à Chaplin en passant par les cabrioles d’un cafard, cette partition physique est une ode aux êtres étranges, dits bizarroïdes. Une résilience insolite et malicieuse : jouer comme un fou.

Insecte, blatte, le costume noir à pattes inquiétantes et à coque moirée est porté par l’acteur qui s’en débarrasse peu à peu, jouant entre l’enfermement et la libération d’une sacrée enveloppe dure et bombée de cafard - vraie geôle que constitue la sensation physique de toute existence.

Se sentir toujours autre et étranger, marginalisé, inadapté, un peu à côté encore « de la plaque » et de ce que l’autorité magistrale et paternelle attend de vous, dès l’enfance et la prime jeunesse. En résulte un sentiment d’illégitimité face à la vie, à l’expression assumée de soi, à la parole libre.

Un éloge de l’étrangeté, de la bifurcation, des chemins escarpés et aléatoires de l’école buissonnière. Anthony Devaux se donne corps et âme sur le plateau, du mieux qu’il peut, entre draps déchirés suspendus alentour, images de toiles d’araignées qui encombrent les esprits figés.

Il se lève, parle au téléphone, prend la voix assurée et tutélaire d’un plus grand que soi - référence intellectuelle prétendue ou mère attentive au devenir filial, cigarette à la bouche, et ton suffisant.

Puis l’acteur tombe souvent et encore, de tout son long, jambes et bras écartés, sur le dos et sur le ventre : il rêve, enserré dans un cauchemar qui le dépasse et qu’il aimerait bien maîtriser. Certes, Kafka - portrait et symbole de l’écriture de soi, profondeur et mélancolie - s’éloigne du paysage.

Or, le souvenir d’un père étouffe les sentiments de l’histrion qui avoue avoir souffert plus que de raison dans une famille qui n’était guère à son écoute, voulant reproduire le schéma traditionnel d’un milieu d’origine de travail et de soumission, loin de toute inclination vers les choses de l’esprit.

Le comédien n’est pas avare de postures, mouvements et gestes inconsidérés - cette folie de se sentir exister un peu de travers. Il raconte ce que vivre signifie quand on s’extrait des pattes et des fils d’une communauté d’embrigadement et d’encerclement qui ne vous reconnaît pas - la structure mentale et concrète de toute prison que représente cette coquille extérieure et « prête à porter ».

Humour, burlesque, monstruosité, la réalité est autre à chaque fois, et il est difficile de se poser quand on ne se trouve pas, toujours en mouvement d’instabilité et de perte d’équilibre. Entre chutes et coups, ce corps scénique qui se croyait vermine se révèle bouffon joyeux et espiègle.

Le Monde et son contraire, texte Leslie Kaplan (P.O.L.), mise en scène et jeu Anthony Devaux, assistant à la mise en scène Julien Toinard, direction d’acteur Esther Wahl, lumière Titiane Barthel, son Jeanne Susin, scénographie Loana Meunier, costume Anatole Mennessier. Du 27 avril au 20 mai au Théâtre Les Déchargeurs 75001 - Paris.
Crédit photo : Cie Fracas lunaire

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Véronique Hotte

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