La Contrebasse de Patrick Süskind
Une scène de ménage lyrique !

Elle trône au milieu du salon. Imposante, impériale, silencieuse. Il a beau l’invectiver, l’agonir de reproche, elle ne bouge pas. Il sait bien que de toutes façons, il la prendra dans ses bras ce soir. Nous assistons à une véritable scène de ménage, et nous sommes pris à témoin !
Il est musicien d’orchestre. Elle est sa contrebasse. Mais pourquoi joue-t-il de cet imposant instrument. Injuste, il lui met tout sur le dos. Pour draguer, une contrebasse ce n’est pas glamour ! Il est obligé d’avoir une voiture pour véhiculer Madame. En somme, elle est l’objet de toutes ses attentions, il se ruine pour elle.
Toute sa vie tourne autour de ce satellite. Tous les jours, il se livre à un corps à corps furieux avec elle, arrachant à la belle des plaintes, des cris ! A tel point qu’il a dû insonoriser à grand frais son appartement, afin d’éviter les protestations de ses voisins. Pour elle, tous les jours, il met son habit de soirée. Mais La contrebasse est un instrument exigeant et envahissant. De quarte en quarte, il doit l’apprivoiser, lui offrir un archet de luxe. Et elle, que fait-elle pour lui, l’ingrate ! On ne fantasme pas sur un contrebassiste. Tout est là, le musicien qui nous la présente comme une maîtresse exigeante, est tombé amoureux d’une cantatrice. Comment faire pour attirer l’attention de la belle soprano ?. Le contrebassiste nous présente son instrument comme le plus grand, le plus gros, le plus grave de l’orchestre. Il se cache derrière elle. Après l’avoir encensée, le contrebassiste règle ses comptes avec cette ingrate, à qui il a consacré sa vie !
Le musicien malheureux trouve un exutoire dans ce monologue à la fois furieux, tendre et parfois désespéré. C’est le solo d’un homme solitaire. La contrebasse appartient à la famille des instruments à cordes frottées. Il faut du doigté pour magnifier les octaves, donner des pizzicati. Le chant grave de la contrebasse est celui d’un homme qui se replie dans son appartement, seul face à son instrument et devant quelques bières. Constat d’une vie qui ne se réalise pas. Il est mal à l’aise avec son statut de fonctionnaire et dans la hiérarchie de l’orchestre. Quoi qu’il en dise il aime cette belle aux formes imposantes, il lui reproche qu’on ne reconnaisse pas son talent, que les compositeurs ne pensent pas assez à elle. Pourtant avec quel lyrisme il parle de Schubert ! Avec quelle passion, il parle des difficultés d’exécution !
La contrebasse de Patrick Süskind, fut créée en France par Jacques Villeret, avec son allure de petit ours rondouillard à la tendresse fracassée, il reste dans toutes les mémoires. Mais au théâtre pour que vivent les textes il faut qu’ils soient joués afin d’explorer d’autres…partitions. Jean-Jacques Vanier avec son air de clown triste, et son sourire d’une tendresse infinie nous fait redécouvrir ce texte. Il crée un musicien frustré, un Paillasse éperdu d’amour contrarié. Tendrement drôle, sa prestation est pleine de poésie.
La Contrebasse de Patrick Süskind
Traduction Bernard Lortholary
Mise en scène Gil Galliot
Avec Jean-Jacques Vanier
Théâtre Le Lucernaire jusqu’au 5 novembre à 19h
53, rue Notre Dame des champs, Paris 6
0145 44 57 34
© photo Karine Letellier