Entre deux

Pas vraiment tout seul

Entre deux

Un seul-en-scène tendre et lucide sur le vécu d’un père célibataire tiraillé entre son ex, sa future et sa mère, entre sa cadette et son aînée, entre son passé et son futur, entre la scène et la salle. Drôle, comme ce qu’on voit sur le miroir quand on s’y regarde avec autodérision.

Depuis une bonne décennie au moins, les humoristes se sont mis à pulluler de façon pandémique. Il y en a eu de toutes les sortes. Des qui durent, des éphémères, des fils à papa, des vulgaires, des qui s’accrochent et des qui décrochent, des féroces, des aigre-doux, des impertinents, des grimaçants, des pince-sans-rire, des hurluberlus, des comètes de Halley qu’on reverra ou pas dans cent ans, des semi-clones de déjà vus, des sortis de brocante et des quasi primates…

Tri sélectif pas encore légalisé, vive la débrouille pour en épingler un. Hasard ? À condition peut-être de croire en l’horoscope. Flair ? Perdu entre deux vagues covid et éventé par la télé. Rencontre, en rue de festival, avec un gaillard qui tracte pour son compte à découvert ? Aléatoire. Bouche à oreille ? Trop filtré par le port du masque. Et puis, finalement, un peu tout ça : un nom sur affiche : Kostia. Pourquoi ? Pourquoi pas. Peut-être par nostalgie du personnage du mal aimé dans « La Mouette  » de Tchekhov.

Il arrive sur le plateau. Non, il y est déjà. Pour nous, ses spectateurs attentifs. Ben, non : nous tourne le dos et raconte une histoire à ses fillettes en coulisses pour les endormir. Faudra attendre. Et puis, le voici qui nous prend à témoins, nous raconte sa vie de devenu père célibataire condamné à l’ingéniosité permanente.

Alors, ce gars-là (ou cet homme de galas, comme on voudra) quand il se met à parler, on se dit qu’il raconte notre quotidien, que c’est à nous, là, sous les projecteurs, cette vie ordinaire qui devient fichtrement drôle puisqu’elle est à prendre avec le sourire afin de s’en sortir. Puis même, si c’est pas à nous que c’est arrivé, c’est au copain, c’est au cousin, c’est à tout le monde.

Rien n’est laissé en rade. L’inventaire comprend la vie conjugale et ses tensions, les corvées du ménage à partager, les influences d’appareils connectés sur notre comportement, les obsessions sur les régimes alimentaires, les caprices des gosses et leurs câlins, les trajets école-domicile, les vacances à la montagne comme à la plage. Il glisse çà ou là des allusions parodiques à la chanson, n’élude pas le sexe ni les réseaux sociaux.

Ce spectacle n’est pas que bavardage. Cet artiste ou ce personnage, c’est kifkif, occupe la scène ; il assaisonne de quelques accessoires à gags visuels, de plusieurs éclairages d’ambiance, de l’une ou l’autre facétie sonore, d’une présence corporelle efficace. Il est capable de glisser un brin d’émotion sincère sans appuyer, histoire de rappeler que ce qu’il dit tient aussi à l’humain. Rien ici n’est vulgaire ni démago. Donc, tout sonne vrai.

N’oublions pas la petite bouffée d’exotisme. Kostia, il est Belge. Belge francophone en l’occurrence, mais on a beau utiliser la même langue, tout ne se dit pas nécessairement avec un vocabulaire identique avant ou après Quiévrain. De quoi se prémunir contre quelque quiproquo. Et lorsqu’il quitte le plateau, s’en retourne prendre du repos ou voir si ses filles ne se sont pas réveillées, on a juste envie qu’il revienne pour un dernier clin d’œil, une ultime confidence en intime connivence.

Avignon Off 2022, Sham’s Théâtre, 07>30 juillet 2022, 20h30 Durée : 1h15

Texte, interprétation : Kostia
Régie : Charley Melardy
Production : Cie PT Prod
Diffusion : Thomas Verhulst

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre » (2006-2021)....

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