Elles vivent d’Antoine Defoort

Des faux semblants et des vrais semblables

Elles vivent d'Antoine Defoort

Jean Cocteau termine un de ses monologues par « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité. » Ce pourrait être la définition de ce qu’est le théâtre. C’est aussi celle de cette représentation que propose Antoine Defoort.

En guise de prologue, Sofia Teillet prévient le public : elle est la médiatrice entre ce spectacle et nous les spectateurs ; elle l’est aussi entre lui, elle et les acteurs ; elle sera par ailleurs Rita, personnage fictif, quand elle reviendra sur scène ultérieurement. Elle ajoute que l’individu dont on devine la présence en fond de plateau n’appartient pas à l’action qui va se jouer mais est un vrai technicien en chair et en os. D’emblée nous sommes donc prévenus. À nous de prendre nos précautions pour ne pas sombrer au fin fond de cette mise en abyme et risquer d’y rester.

Noir. Plein feu. Dans une forêt, un individu raconte à un autre individu une histoire. Cette histoire est l’histoire de cette histoire. Et il va la révéler en prenant pour point de départ une case de bande dessinée, visible sur un écran, qui montre trois personnes attablées et munies d’un dossier intitulé P M C. Grâce à la technologie, ce narrateur, qui jouera la voix off du trio, anime le dessin, se trouvant par conséquent tout à la fois dans le réel et la fiction.

Nous comprenons très vite qu’il s’agit d’une parodie fort drôle des réunions fréquentes entre collaborateurs d’une institution, avec échanges d’idées, de propositions, de remue méninges, d’hypothèses spontanées. Tandis que nous rions, le narrateur Michel est interrompu par son interlocuteur Taylor en train de vomir. Son histoire à lui nous bascule en pleine dystopie, à la fois dans l’absurde le plus total et dans une logique implacable mêlant technologies de pointe et réalités banales.

La suite apporte un savoureux décryptage des débats télévisés en période électorale. S’y greffe une succession de séquences où sont mises en jeu diverses propositions liées à des gadgets technologiques. Ainsi, ce casque susceptible de faire revivre des souvenirs enfouis ; ou encore des possibilités de concrétiser des présences par hologramme, voire clonage. à travers un délire intelligemment amené qui, sans parvenir à démêler ce qui est authentique et ce qui est illusion. Tout cela aboutit à la conclusion que les idées ne sont pas des concepts intellectuels mais des êtres vivants et qu’elles hantent l’environnement, en l’occurrence cette forêt très réalistement implantée sur le plateau.

Nous avons été embarqués dans un embrouillamini au sein duquel se télescopent des bribes de passé et des éléments du présent. Comme, par exemple, le fait que l’association improbable du trio du début a fini par devenir un parti politique ayant perdu les élections. Des dialogues déjantés nous ont menés à devenir incapables de séparer le bon grain de l’ivraie, de distinguer le fait véridique et les dérives nocives contenues dans les élucubrations diffusées à tout va à travers la jungle médiatique.

C’est joué avec entrain. C’est débité avec un tel naturel qu’on finirait bien par être dupes s’il n’y avait pas le rire qui nous convie à prendre du recul. C’est malgré tout, à quelques moments, étiré en longueurs, le verbiage prenant le pas sur l’action théâtrale. Qu’importe ! La caricature des dérivations auxquelles on se livre parfois dans les neurosciences à la mode et dans le questionnement suscité par l’intelligence artificielle, débouche (c’est le cas de le dire) vers une réflexion prise en relais dans les locaux de « La Condition publique » de Roubaix par une exposition traitant des ‘fake news’.

Durée 1h30
4-5 mai 2023 La Condition publique (décentralisation de la Rose des Vents [Villeneuve d’Ascq]) -Roubaix
20-21 mai Auawirleben Theaterfestival - Berne (CH)

Jeu : Sofia Teillet, Alexandre Le Nours, Antoine Defoort, Arnaud Boulogne
Conception : Antoine Defoort
Collaboration artistique : Lorette Moreau
Régie générale : Simon Stenmans
Création sonore : Mélodie Souquet
Création musicale : Lieven Dousselaere
Scénographie : Marie Szersnovicz
Diffusion : Claire Girod
Regard extérieur : Stephanie Brotchie
Bricolage : Sébastien Vial, Vincent Tandonnet
Conception du robot de la réforme du fliflifli : Kevin Matagne
Conseiller logomorphe : Esprit de la Forêt
Production : L’Amicale ; Alice Broyelle, Célestine Dahan, Thomas Riou
Coproduction : le Phénix (Valenciennes) ; Teatro Nacional D.Maria I, (Lisbonne) ; Atelier 210, (Bruxelles) ; Le Cent quatre (Paris) ; Malraux, (Chambéry ) ; Maillon, ( Strasbourg) ; Le Bateau Feu (Dunkerque) ; Vooruit (Gand) ; le Vivat (Armentières) ; Théâtre Saint-Gervais, (Genève) ; Carré-Colonnes ; (Bordeaux) ; La rose des vents (Villeneuve d’Ascq)
Soutien : Théâtre de Poche ; Bretagne romantique & Val d’Ille-Aubigné ; Buda, (Courtrai)
Photo © Matthieu Edet

Voir  : Art Fiction Mensonge, jusqu’au 16 juillet 2023 à La Condition publique à Roubaix . Infos : +33 (0)3 28 33 48 33 ou https://laconditionpublique.com/agenda/fake-news-2-art-fiction-mensonge-avec-la-fondation-groupe-edf

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre » (2006-2021)....

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