Du 5 au 16 février 2025 à La Colline - Théâtre National.
Elizabeth Costello, Sept leçons et cinq contes modernes d’après des nouvelles de John Maxwell Coetzee, mise en scène Krzysztof Warlikowski.
La littérature comme salut existentiel et responsabilité humaniste.

Dans les années 2000, J. M. Coetzee, né en 1940 au Cap en Afrique du Sud, romancier et professeur en littérature australien, d’expression anglaise, crée le personnage de fiction Elizabeth Costello, romancière et polémiste australienne à succès, au crépuscule de son existence.
installant ce personnage de fiction dans l"oeuvre, l’auteur sud-africain lui consacre, l’année 2003 du prix Nobel de littérature, un roman éponyme, portrait d’une vieille dame doutant du pouvoir de la littérature sur la solitude.
L’héroïne de fiction se transforme en alter ego vital de Coetzee (Coetzee/Costello), décalé et ironique. Dans un monde de certitudes et de préjugés, elle vient hanter son créateur et parler en son nom.
Fasciné par ce personnage imaginaire, Krzysztof Warlikowski l’invite dans cinq de ses spectacles jusqu’à lui offrir le premier rôle. Le metteur en scène polonais aime explorer le terrain des images, des visions, des cauchemars et des fantasmes, soit le constat de l’impossibilité de vivre sans compromis.
Depuis Williamstown en Pennsylvanie, l’auteure emblématique, au faîte de sa gloire, se déplace dans nombre d’Universités, en Afrique, en croisière vers l’Antarctique, aux Etats-Unis, à Amsterdam… Sur la scène, l’immense écran du lointain offre ces voyages au regard des spectateurs, de fabuleuses images de synthèse - troupeau de chèvres, savane africaine, roches glacières qui s’écroulent, survol de villes perdues dans le désert, continents. A l’orée de la représentation, il y aura eu le rappel d’une fillette de b.d. ou de manges, devenue coquille sans contenu ni présence à l’âme perdue ou dégorgée - des images sans fond issues de l’ère du numérique et de l’I.A.
Or, pour contrer ce monde des seules apparences, reste encore la fabrication artisanale de deux ou trois magnifiques goélands exposés dans une vitrine transparente, structure mobile chère à Warlikowski que les acteurs déplacent, là où le vrai théâtre dans le théâtre des acteurs/spectateurs s’accomplit.
Pendant ce temps, de conférence en conférence, l’auteure adulée devient problématique pour ses interlocuteurs, refusant toute complaisance, ne répondant pas aux questions mais en proposant d’autres, irrésolues toujours.
Enigmatique et mystérieuse, elle n’accorde sa foi, remise désormais en question, qu’à la littérature, son bien-fondé et ses prétentions. Beauté, Bien et Vérité procèdent-ils réellement pour le mieux-être de l’Humanité ? N’est-ce pas un enfermement égoïste, salutaire au bien-être de l’auteure ?
Le public assiste, en même temps, à la vie intime d’Elizabeth Costello, présences récurrentes du fils, de la belle-fille, des petits enfants…, sans oublier, d’un point de vue professionnel, les spécialistes de son oeuvre trop intéressés - évocation de références littéraires, Molly dans l’oeuvre de James Joyce etc.… L’auteure pas à pas se dirige vers un âge plus avancé, une vieillesse qui a maille à partir avec ses désirs, son envie de vivre et d’en découdre, croyant à la lutte du Bien contre le Mal - maltraitance des animaux, entre autres.
En exergue, pour sa première conférence, le Rapport pour une Académie (1917) de Franz Kafka où un homme au passé de singe est invité par une académie des sciences à faire le compte-rendu de son passé simiesque. Elizabeth Costello serait-elle supérieure, comme son public, aux animaux ? Des figures scéniques portent le masque simiesque - ironie et sarcasme.
A jardin, une rangée de tables de conférenciers ou de dîneurs est reproduite filmée sur le lointain en quinconce, et puis le projet scénique s’inverse. Sous le regard du public, se déploie une vaste scénographie habituelle chez le concepteur, caméra maîtrisée et théâtre dans le théâtre encore, pour filmer interviews et commentaires. Coetzee lui-même - le manipulateur en chef - explique cette figure féminine qui ne cesse de rôder autour de lui, jusqu’à s’immiscer dans sa conscience de créateur, questionnant sans fin l’irrésolu.
L’héroïne interroge la responsabilité de l’artiste sur la question du Mal - horreur de la Shoah et abattage massif des animaux : doit-on explorer - en vain - les méandres de l’inhumanité et de la cruauté des humains ?
Et pour l’incarnation de la romancière philosophe, pas moins de six actrices et un acteur de différents âges et physiques, saisis sur la scène à rebours du temps, allers et retours en désordre, pour l’icône insaisissable jeune ou âgée.
Des interprètes talentueux qui irradient la scène de leur libre engagement.
Une admirable réflexion, non seulement littéraire et scénique, esthétique et politique, mais encore existentielle, sur nos valeurs humanistes malmenées.
Elizabeth Costello, Sept leçons et cinq contes modernes, d’après Elizabeth Costello, L’Homme ralenti, L’Abattoir de verre de John Maxwell Coetzee, mise en scène Krzysztof Warlikowski. Avec Mariusz Bonaszewski, Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka, Ewa Dałkowska,Bartosz Gelner, Małgorzata Hajewska-Krzysztofik, Jadwiga Jankowska-Cies ́lak, Maja Komorowska, Hiroaki Murakami, Maja Ostaszewska, Ewelina Pankowska, Jacek Poniedziałek, Magdalena Popławska. Costumes et décor Małgorzata Szczezsniak, lumières Felice Ross, scénario Piotr Gruszczynski, Krzysztof Warlikowski, collaboration au texte Łukasz Chotkowski, Mateusz Górniak, Anna Lewandowska, dramaturgie Piotr Gruszczynski, collaboration artistique Claude Bardouil, musique Paweł Mykietyn, vidéo Kamil Pola, maquillages Monika Kaleta. Du 5 au16 février 2025, du mardi au samedi à 19h30 et dimanche à 15h, spectacle en polonais surtitré en anglais et en français, à La Colline - Théâtre National, 15 rue Malte-Brun, Paris 20 è. Tel : 01 44 62 52 52. Les 21 et 22 mars 2025 Schauspiel Stuttgart (Theaterbiennale), Stuttgart. Les 4 et 5 octobre 2025 Konfrontacje Lublin, Lublin. Les 18 et 19 octobre 2025 Dialog-Wroclaw, Wroclaw. Les 26 et 27 octobre 2025, Teatr Wybrzeze, Gdansk.
Crédit photo : Magda Hueckel
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