Univers comiques impitoyables
Du mariage au divorce de Georges Feydeau
A Paris au Théâtre Marigny du 11 janvier au 7 mai 2011
Alain Françon aime Bond, Vinaver et Tchekhov, mais aussi Feydeau vers lequel il revient aujourd’hui pour la quatrième fois. Après une mémorable Dame de chez Maxim (1990), puis Saute, Marquis (1992) et L’Hôtel du Libre-Echange (2007), il associe sous ce titre générique quatre de ses pièces en un acte, dont la conception s’éloigne des grandes mécaniques vaudevillesques pour aborder la comédie de mœurs. On purge Bébé, met en présence le couple Follavoine. Bastien est en attente d’une rencontre capitale avec un représentant du ministère pour l’attribution d’un important marché, destiné à améliorer l’hygiène de l’armée française à travers la livraison de pots de chambre en porcelaine incassable dont il est l’inventeur. Il ne supporte pas la présence de sa femme Julie, toujours “ en tenue de souillon” et accompagnée de son seau de toilette, dont l’obsession est de purger leur fils atteint de constipation. Feu la mère de Madame, s’ouvre sur le retour matinal dans la chambre de sa femme d’un mari déguisé en Roi-Soleil après un bal costumé. Bientôt, les querelles de circonstance font place à l’annonce du décès de la mère de l’épouse qui engendre une suite d’échanges révélateurs. Léonie est en avance, conte l’histoire d’une femme enceinte de huit mois, dont les envies contraint un mari à se coiffer d’un pot de chambre, puis à être rudoyé par ses beaux-parents et par une sage-femme tyrannique. Dans Mais n’te promène pas donc pas toute nue !, le député Ventroux est furieux de la présence de sa femme en tenue légère et court vêtue devant son domestique et son rival politique. Ces pièces furent écrites entre 1908 et 1911, période où le mariage de Feydeau avec Marianne, fille du peintre Carolus-Duran, se délite jusqu’au divorce. Une source d’inspiration qui l’amène à traiter avec férocité les rapports du couple et l’affrontement des sexes, dans des situations délirantes qui provoquent le rire.
Avec la rigueur et la sobriété qui lui sont coutumières, Alain Françon conduit ces quatre brillantes comédies en leur apportant une dimension trop souvent escamotée. Loin de trahir leurs ressorts comiques, il en éclaire la profondeur sociologique en se décalant de la précision des indications de l’auteur pour mieux en exhaler ses accents sous – jacents et sa noirceur sans appel. Sa mise en scène traduit à chaque instant un travail de réflexion sur ces textes, dont les répliques fusent et font mouche dans l’articulation des mouvements avec une force percutante. La farce, parfois triviale et franchouillarde, devient surréaliste, l’évocation de la société bourgeoise une charge sociale féroce et cruelle contre la médiocrité, l’égoïsme et l’hypocrisie. Le rire devient grinçant et libérateur. Dans le décor Belle Époque, transposé avec tempérance par Jacques Gabel, une brillante palette de comédiens porte au sommet les différents registres et nuances portés par les personnages : Anne Benoit, Philippe Duquesne, Eric Elmosino, Judih Henry, Julie Oilod, Gilles Privat, Régis Royer et Dominique Valadié sont épatants. Ils témoignent d’un plaisir du jeu qu’ils savent faire partager et d’un bel esprit de troupe, renforcé par leur investissement dans les différentes pièces représentées. Ce spectacle créé au Théâtre national de Strasbourg est certainement promis à un grand succès.
Du mariage au divorce, quatre pièces en un acte de Georges Feydeau (On purge bébé, Feu la mère de Madame, Léonie est en avance ou Le Mal joli, “ Mais n’te promène pas toute nue”, mise en scène Alain Françon, avec Anne Benoit, Philippe Duquesne, Eric elmosino, Judith Henry, Julie Pilod, Gilles Privat, Régis Royer, Dominique Valadié. Scénographie Jacques Gabel, lumières Joël Hourbeigt, costumes Patrice Cauchetier, son Daniel Deshays.
A Paris au Théâtre Marigny du 11 janvier au 7 mai 2011.
