Donnez-moi une raison de vous croire de Mathieu Bauer, Marion Stenton et Sylvain Cartigny

Trouver un emploi en résistant à la bureaucratie

Donnez-moi une raison de vous croire de Mathieu Bauer, Marion Stenton et Sylvain Cartigny

Mathieu Bauer explore le territoire miné de la bureaucratie, de l’administration tentaculaire et arachnéenne, le long d’un étourdissant labyrinthe kafkaïen : silhouettes, seconds rôles et figurants deviennent les fantômes radieux et tristement exemplaires de l’histoire re-racontée de l’Amérique.

Donnez-moi une raison de vous croire, pour le metteur en scène, s’inspire de la fin de L’Amérique de Kafka. Dans le roman inachevé, est exposé le destin d’exil de Karl, ses déboires et accidents. Et l’annonce de recrutement du Grand Théâtre d’Oklaoma sonne tel un espoir, opportunité à saisir.

L’annonce de recrutement est une invitation métaphorique à tous ceux qui sont laissés de côté et qui doivent résister. La scène est lieu du rassemblement de ceux qui veulent trouver « une place »- légitimité à être. Les élèves du groupe 46 de l’Ecole du Théâtre national de Strasbourg ont embrassé avec Mathieu Bauer et Sylvain Cartigny une épopée musicale absurde et abrasive : Carla Audebaud, Yann Del Puppo, Quentin Ehret, Kadir Ersoy, Gulliver Hecq, Simon Jacquard, Emilie Lehuraux, Aurore Lévy, Joséphine Linel-Delmas, Pauline Vallé, Cindy Vincent, Sefa Yeboah.

Ensemble, ils forment l’orchestre vagabond des demandeurs qui occupent les couloirs du grand Théâtre de l’Oklahoma, décor du dénouement de L’Amérique de Kafka. Appétit, envie, désir, ils s’emparent de tous les rôles afin qu’explosent les assignations et soient repoussés les murs des salles d’attente où on voudrait les voir confiner à vie dans une désespérance banale et normalisée.

Mur de lointain avec ses petites cabines et les portraits de chaque demandeur d’emploi ; et devant, un espace de salle d’attente avec chaises et au centre encore, le coeur de la piste du cirque réduit.

L’énergie vitale du groupe s’incarne à travers une succession de scènes, écrites pour eux par Marion Stenton, élève dramaturge à l’école du TNS : « D’un côté, les mesureurs méticuleux, les gestionnaires et leur sémantique administrative désarmante ; de l’autre, les ventres vides, les accents de l’urgence, le tremblement du trac, les inflexions rageuses de la nécessité ».

L’univers musical de Sylvain Cartigny et de Jean-Philippe Gross ouvre des espaces et temporalités autres, et fait entendre, derrière la joyeuse polyphonie des langues qui se bousculent, les interstices, les silences, les appels de détresse des laissés-pour-compte du dreamland américain. Et tombe une neige de petits papiers blancs, flocons et confettis découpés de fête enfantine.

Étranges figures burlesques, grotesques et expressionnistes, elles recèlent la misère existentielle du monde - le sentiment d’être entravé alors qu’elles se savent porteuses d’un élan tonique à vivre - miroir chatoyant des jours qui passent - absurde, humour et non-sens. A l’un est attribué le poste de portier, à l’autre celui de l’hôtesse d’accueil, à d’autres, celui d’artisan, d’acteur…Tous affrontent l’absence de communication d’un monde frelaté aux ressources humaines inexistantes.

« Donnez-moi une raison de vous croire », demande le questionneur au questionné, affirmation que les demandeurs d’emploi retourneront à l’envoyeur : « Rien n’a changé, non… » Or, tous finiront par être probablement engagés d’une façon ou d’une autre à l’un des postes que propose le Grand Théâtre d’Oklahoma - accueil, ouvreur, chanteur, musicien, acteur, technicien…

Avec l’orchestre du Théâtre de l’Oklahoma/Bauer installé à jardin sur trois degrés dans les hauteurs - instruments à vent et à cordes, percussions et chants, le rendez-vous festif brille. En bas, sur le plateau et à cour, les appelés tentent de défendre au mieux leur candidature : à la fois, mouvement choral d’ensemble et solo pour chacun des heureux élus scéniques en lice.
Un spectacle musical décapant, jeu vif savant de jeunes acteurs qui mettent à bas les morosités.

Donnez-moi une raison de vous croire, texte et dramaturgie de Marion Stenton, mise en scène de Mathieu Bauer, composition Sylvain Cartigny, création sonore Jean-Philippe Gross. Du 14 au 22 juin 2022 à 20h, samedi 18h, relâche dimanche, au Nouveau Théâtre de Montreuil, salle Maria Casarès. Tél : 01 48 70 48 90 nouveau-theatre-montreuil.com Du 23 septembre au 1er octobre 2022 au Théâtre National de Strasbourg.
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

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Véronique Hotte

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