Caligula d’Albert Camus par Jonathan Capdevielle au T2G - Gennevilliers CDN, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.
Regard artistique sur un tyran - pouvoir excessif, cruauté et vérité des corps.

Le concepteur, metteur en scène et interprète du rôle-titre de Caligula de Camus, Jonathan Capdevielle, inspiré par La Vie des douze Césars de Suétone, installe l’intrigue dans la Rome antique, sorte de riviera italienne, souvenir du massif méditerranéen des Calanques marseillaises, lieux surexposés lumineusement entre l’éclat et les ténèbres propices aux déploiements érotiques.
Les costumes vont et viennent, de l’Antiquité aux tuniques courtes, aux allures contemporaines de sénateurs policés au costume cravate -, jusqu’aux maillots de bain tendance d’un XXI è entamé.
La scénographie de Nadia Lauro est éblouissante autant que pertinente avec l’emblème de la Solfatare, volcan napolitain, paysage lunaire et minéral, avec cendres, fragments de lave et fentes dans le sol dégageant des fumerolles et la couleur jaune issue des cristaux d’orpiment. Les gaz envahissent la fin de la représentation : rien ne va plus pour le tyran acculé par les tyrannisés.
Toujours est-il, qu’au début, le public bascule dans Le Mépris de Jean-Luc Godard, non loin de Capri - baie et pics rocheux où les estivants reposent, allongés et abandonnés sous le soleil.
Ces politiques en vacances proches de l’empereur invisible attendent ce dernier depuis trois jours, un héros qui resurgira finalement, en quête d’absolu mais qui se trompe sur les moyens d’y parvenir. L’erreur commise de ces moyens cruels finira par enlever toute légitimité à la révolte qui les avait justifiés.
Après avoir perdu un être cher, la soeur et amante Drusilla, Caligula réagit à ce deuil d’une manière inexplicable : Il s’éclipse et multiplie les débaucher, se livrant au crime.
« Moralement désorienté au moment où a été coupé le lien qui le rattachait à la femme qui, sans qu’il en ait conscience, gouvernait sa vie. Après avoir poussé jusqu’au vertige l’exercice de son pouvoir, et manier à sa guise les pantins qui le servaient, il doit s’avouer, avant de mourir, que « (sa) liberté n’est pas la bonne » ; ne contemplant plus que sa propre image dans le miroir, il s’éteint dans une nuit « lourde comme la douleur humaine ». (Pierre-Louis Rey)
Aussi Caligula - humour et jeu du spectacle -, dont une main aux ongles vernis de rouge dépasse des rochers, s’est-il rapproché de son entourage, changeant de projet, décidé à exercer un pouvoir absolu sans limite sur la cité, ordonnant trois ans durant les pires exactions avant d’être assassiné.
Pour le concepteur, « Camus réussit à dégager sur la question du pouvoir toute une réflexion qui fait écho à des figures politiques d’aujourd’hui exerçant à l’excès leur fonction ». Tissant les deux versions du texte de Camus - l’une de 1941 et l’autre de 1958 -, il déploie cette pièce politique et poétique, assez bavarde et désuète, où le héros est le marionnettiste/manipulateur du pouvoir.
Or, Capdevielle a jeté sa gourme, exposant toute la facétie dont il est capable - sans oublier l’art du chant - pour interpréter à son corps en majesté et en string, de gaieté de coeur, le rôle-titre. Soit un empereur poète expérimentant l’art dramatique, la musique et la danse, offrant l’allure d’un faune dansant - le dieu Pan à Pompéi -, figure masculine grotesque, barbue et facétieuse, tête penchée vers l’arrière qui regarde le ciel, une perruque à l’envers sur la tête, entre folie et paranoïa, construisant méthodiquement un monde de tension, de violence et d’oppression.
Les acteurs scéniques dégagent la pression de l’enjeu : Adrien Barazonne, Michèle Gurtner, Jonathan Drillet, Dimitri Doré, Anne Steffens et Jean-Philippe Valour - sénateur, amante nostalgique, esclave affranchi et complice, poète amoureux, sénatrice de conviction et de lucidité - cheffe de la conjuration. Les interprètes sont sonorisés - chevauchement du texte et du son - système de spatialisation des sources sonores, conçu et orchestré par Vanessa Court.
Sous la musique évocatrice de bruit et de fureur d’Arthur B. Gillette et de Jennifer Eliz Hutt et dans l’écoute des répliques italiennes, la représentation se fait pasolinienne, ré-haussant, il est vrai, un texte un peu daté, entre inventions scéniques judicieuses et complaisance exhibitionniste des corps.
Caligula, texte d’Albert Camus, conception et mise en scène de Jonathan Capdevielle, musiciens live et musique originale Arthur B. Gillette, Jennifer Eliz Hutt, son Vanessa Court, lumière Bruno Faucher, costumes Colombe Lauriot Prévost, scénographie Nadia Lauro, chorégraphie Guillaume Marie. Avec Adrien Barazzone, Jonathan Capdevielle, Dimitri Doré, Jonathan Drillet, Michèle Gurtner, Anne Steffens, Jean-Philippe Valour Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, du 28 septembre au 9 octobre 2023, jeudi, vendredi, lundi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 16h au T2G Théâtre de Gennevilliers 41, avenue des Grésillons 92230 - Gennevilliers. Tél : 01 41 32 26 10, www.theatredegennevilliers.fr
Du 17 au 19 octobre 2023, Théâtre des 13 vents, CDN de Montpellier. Les 7 et 8 novembre 2023, Les Quinconces L’espal, Scène Nationale du Mans. Les 7 et 8 décembre 2023, Le Maillon, Scène européenne, Strasbourg. Les 13 et 14 décembre 2023, CDN de Besançon Franche-Comté. Le 19 décembre 2023, L’Onde Théâtre - Centre d’Art, Vélizy-Villacoublay.
Du 14 au 16 mai 2024, Théâtre du Nord, CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France. Les 23 et 24 mai 2024, Comédie de Béthune, CDN. Du 6 au 8 juin 2024, L’Arsenic, Centre d’art scénique contemporain, Lausanne.
Crédit photo : Marc Domage.