Barcelona. Espagne : Gran Teatre del Liceu

« Boulevard Solitude” de Hans Werner Henze

Un drame lyrique poignant dilué par la mise en scène

« Boulevard Solitude” de Hans Werner Henze

En 1951 Hans Werner Henze a 25 ans. L’Allemagne est totalement détruite et le jeune compositeur décide avec quelques amis d’écrire un opéra témoignant des souffrances de leur pays. C’est à Paris, le Paris intellectuel et insouciant de Saint- Germain-des-Prés où ils habitent alors, que le projet prend forme. Leur choix se porte sur le roman de Walter Jockisch « Boulevard Solitude », transposition au XXème siècle de la très célèbre « Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut » de l’abbé Prévost. Grete Weil en écrit le livret. Le parcours angoissé et solitaire de Des Grieux, sa chute finale leur semble une image suffisamment forte pour illustrer la totale dégradation de leur pays après la défaite de 1944.

Un caractère intello qui n’existe pas dans le roman

L’œuvre, en sept scènes, est structurée en forme d’arcade. Les trois premières scènes décrivent la rencontre des amants, leurs premiers temps de vie commune, heureuse et insouciante. C’est la partie ascendante de l’histoire. Les trois dernières relatent la descente aux enfers de l’étudiant Des Grieux. Au centre, un tableau consacré à la Sorbonne donne à l’œuvre un caractère intello qui n’existe pas dans le roman de l’Abbé. Les sept scènes sont reliées par des intermèdes orchestraux distincts qui font avancer l’action comme autant de tours d’écrou. La musique, bien rythmée, richement colorée ressemble un peu à l’exercice de style obligé de toute œuvre de jeunesse où l’on veut démontrer qu’on a un talent multiforme.

Quantité de figurants bougeant de manière répétitive

La production du Covent Garden, présentée à Barcelone, prend à contre-pied l’aspect intrinsèquement misérabiliste du récit. Le décor de Tobias Hoheisel est un décor « Art Déco » brillantissime qui fausse le sens de l’œuvre et en gêne la compréhension. Nikolaus Lehnhoff a imaginé une mise en scène simple et très soignée, mais il a meublé les intermèdes avec une grande quantité de figurants qui bougent de manière répétitive dans un faux désordre. Cette option, justifiée pour le tableau de la gare, freine ailleurs l’évolution du drame et se trouve en contradiction avec la musique. De plus le personnage de Lilaque, le père, est traité sur un mode comique ce qui diminue encore la dimension dramatique du récit car ce personnage, bien qu’il « paye la note », n’a rien à voir avec, par exemple, Alcindoro le protecteur de Musetta dans « La Bohème » de Giacomo Puccini.

Ainsi, toute l’histoire est doublement dénaturée, par la richesse d’un décor à contresens et par l’exubérance futile de la mise en scène. Du coup, les personnages, malgré la performance des chanteurs, se trouvent dépossédés de leur véritable caractère : Lilaque le père – Hubert Delamboye- n’est plus un vieillard lubrique, et le désespoir du Des Grieux de Pär Lindskog- sonne faux. La Manon de Laura Aikin y perd son caractère d’amoureuse pauvre au profit de l’image de femme entretenue. Seuls tirent leur épingle du jeu, Lescaut – Tom Fox- en souteneur compréhensif et Lilaque Jr- Paul Putnin_ - en « fils à papa ».

Le chef Zoltán Peskó heureusement ne s’est pas laissé emporter par la débauche de moyens sur la scène et, fidèle à la partition, a dirigé sobrement.

« Boulevard Solitude », opéra en sept scènes de Hans Werner Henze, livret de Grete Weil fondé sur l’œuvre de Walter Jockisch « Boulevard Solitude ». Production du Royal Opera House Covent Garden de Londres. Mise en scène de Nikolaus Lehnhoff. Décors et costumes de Tobias Hoheisel. Direction musicale de Zoltán Peskó. Avec : Laura Aikin, Pär Lindskog, Hubert Delamboye, Tom Fox, Marc Canturri, Paul Putnin_ et Basil Patton.
Barcelone - Gran Teatre del Liceu les 2, 3, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 13, 15 mars de 2007

copyright photos Antonio Bofill

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook