Boat people de Marine Bachelot Nguyen

Un pan d’histoire à vau-l’eau

Boat people de Marine Bachelot Nguyen

Sans doute sommes-nous entrés depuis quelques décennies dans l’ère des migrants. Un épisode de leurs épopées est celui qui, à la fin des années 70 et suivantes, a pris naissance en Asie du Sud-Est, dans l’aire des ex-colonies françaises du Laos, Cambodge, Vietnam. C’est le moment où des communistes se sont installés remplaçant un régime colonialiste teinté de démocratie par des dirigeants dictatoriaux. Des populations s’échappèrent en masse par la mer dans des conditions dramatiques et déplorables espérant trouver ailleurs des nations accueillantes.

Pour en témoigner, interroger l’intégration, suivre l’évolution des migrants dans un nouveau pays, Marine Bachelot Ngyien a conçu un spectacle qui tient à la fois du documentaire historique et sociologique et à la fois du domaine théâtral par la mise en scène de séquences qui mettent en présence les étrangers en exil et les autochtones qui les reçoivent. Le décor est sobre. Il se présente simultanément comme un écran géant, comme un lieu de vie établi autour du salon d’une maison ordinaire, comme un endroit ambigu qui ressemble à un garage mais aussi une pièce aménagée en habitation avec, alentour, l’espace virtuel des coulisses abritant l’environnement invisible d’un petit village français typique.

L’écran sert essentiellement à l’apport de documents, à l’histoire réelle. On y voit des séquences de journaux télévisés d’époque, des extraits de documentaires mais aussi des citations d’hommes politiques, d’écrivains, de philosophes autant que des proverbes et sentences exotiques. Le reste de la scénographie sert à incarner un journalier très banal de citoyens et de réfugiés très quelconques.

Le texte est dépouillé de toute coloration émotive liée à un climat de tragédie. Il se refuse d’engendrer dans le public une perception chargée de sensiblerie dramatisée susceptible d’émousser une réflexion objective au sujet de ce qui se passe. Grâce à cette distanciation salutaire, le spectateur prend conscience des différences culturelles, des habitudes locales, des croyances disparates, des mentalités parfois contradictoires. Il perçoit les caractères des individus, leurs vulnérabilités, leurs incompréhensions, leurs bonnes volontés. Il découvre à quel point sont éloignées les envies caritatives européennes et les attentes concrètes véritables des secourus.

La représentation ne se déroule pas selon une durée théâtrale normale avec ses rythmes divers, ses alternances d’épisodes, ses bouleversements d’atmosphères. Elle s’embarque au sein d’un quotidien s’étalant uniformément durant des mois perçus au jour le jour.

Le spectateur se rend rapidement compte que ce qui est projeté tient de la propagande. Ce que les médias et les pouvoirs publics véhiculent c’est un message de sentiments du genre charitable, compatissant, apitoyé mais ce que la réalité révèle c’est que si la France est accueillante c’est parce que la natalité stagne, que la main d’œuvre manque et que c’est plus facile avec d’ex-colonisés plus ou moins accoutumés à la langue française. Finie l’époque où on allait volontairement recruter sans état d’âme des Polonais ou des Italiens pour d’évidentes raisons purement financières. Désormais la fraternité est censée masquer les besoins économiques.

Ce qui apparaît, au travers de l’existence d’une famille d’accueil idéaliste, c’est une perte des illusions, une confrontation entre l’espoir et les contraintes du réel. Le père asiatique universitaire devient ouvrier en usine, l’épouse est réduite à de petits boulots épisodiques. La famille exilée aboutit en H.L.M. La jeune génération (incarnée par la fille réfugiée et le fils adoptif africain des Français) réussit des études qui mènent l’une à enseigner l’anglais en Angleterre et l’autre à devenir instituteur sur place. L’époque est alors la nôtre, sur fond de vagues d’immigration nouvelle en grande partie clandestine et mortifère.

La représentation, à travers sa démonstration plaisante et efficace, jouée avec une sobriété sincère, permet au spectateur de prendre peu à peu conscience que tous les événements évoqués sont une leçon de confrontation entre un humanisme sentimental utopique et une réalité sociopolitique impitoyable. Le théâtre est bien ici l’exemple abouti d’un divertissement amenant à la réflexion. La troupe ayant choisi lucidement d’éviter le surjeu permanent dans lequel se cantonnent la plupart des pièces dites ‘de boulevard’.

Durée : 2h
07>10.10.2025 Théâtre du Nord (L’Idéal) Tourcoing

En tournée :
05.11.2025 Théâtre Choisy-le-Roi
07.11.2025 Scène Nationale de l’Essonne Évry
12>14.11.2025 Festival TNB, La Paillette Rennes
18>28.11.2025 Théâtre National Strasbourg
02>05.12.2025 Théâtre Lorient
20>23.12.2025 Mixt Nantes
14-15.01.2026 La Passerelle Saint-Brieuc
18>22.03.2026 MC93, Maison de la Culture Bobigny
25>27.03.2026 Le Quartz Brest

Texte et mise en scène : Marine Bachelot Nguyen ; distribution : Clément Bigot, Lucile Delzenne, Arnold Mensah, Paul Nguyen, Dorothée Saysombat, Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné ; assistanat :Yen Linh Tham ; scénographie : Kim Lan Nguyen Thi ; création vidéo : Julie Pareau ; création lumière :Alice Gill-Kahn ; création sonore : Yohann Gabillard ; création costumes : Laure Fonvieille ; production : Gabrielle Jarrier, Lumière d’août ; coproduction ; Le Quartz Brest, Mixt – Terrain d’arts en Loire-Atlantique, Théâtre du Nord, Théâtre de Choisy-le-Roi, Théâtre de Lorient – CDN, Théâtre National de Strasbourg, Scène Nationale de l’Essonne, La Passerelle (Saint-Brieuc), Théâtre National de Bretagne ; partenariat : Textes en l’air (Saint-Antoine l’Abbaye) ; ’aide à la production de la DGCA – ministère de la Culture ; soutien : Dispositif d’Insertion de l’École du Nord,.

Compléter  : www.webtheatre.fr/Akila-le-tissu-d-Antigone-de-Bachelot-Nguyen
Lire : Le fils, Carnières, Lansman, 2017, 38p.
Circulations capitales, Carnières, Lannsman, 2021, 52 p.
Les ombres et les lèvres, Carnières, Lansman, 2028, 66 p.
La place du chien, Carnières, Lansman, 2018, 54 p.
Akila, le tissu d’Antigone, Carnières, 2020, 80 p.

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre »...

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