Atys à Genève : ils ont osé !

Leonardo García Alarcón et Angelin Preljocaj ont relevé le défi. Ils ont remis en scène avec succès l’opéra baroque « Atys » de Lully et Quinault.

Atys à Genève : ils ont osé !

TRAGÉDIE LYRIQUE ATYS DE LULLY ET QUINAULT (1676), oubliée dès la fin du XVIIe siècle, été ressuscitée par William Christie et Jean-Marie Villégier à Paris, Caen, Bordeaux et Versailles en 1987. Cette production mythique reprise en 89, 92 et plus récemment en 2011 semblait avoir figé l’œuvre pour toujours.

Rappelons brièvement la tragédie : la puissante déesse Cybèle, secrètement amoureuse du jeune Atys (un mortel) est décidée à abandonner sa condition divine pour pouvoir rester auprès du jeune homme. Or le garçon est secrètement amoureux de Sangaride (la fille du fleuve Sangar) qui l’aime aussi en retour et en secret. Mais, Sangaride a été promise au roi Célénus et lorsque le roi et la déesse découvrent que les deux jeunes gens s’aiment, la vengeance de Cybèle ne se fait pas attendre : elle rend fou Atys et l’oblige à tuer Sangaride. Revenu à son état normal, à la vue de son acte Atys se suicide. La déesse, prend alors conscience de la cruauté de sa vengeance, s’apitoie sur la dépouille de son bien-aimé et décide de le transformer en un arbre « dont les rameaux seront toujours verts ».

Une production de haute volée

Dès le départ de la représentation on a senti que l’option retenue par Leonardo García Alarcón et Angelin Preljocaj était la mise en valeur des textes de Philippe Quinault. Les chanteurs par leur maîtrise parfaite du récitatif ont rehaussé le sens des innombrables suppliques, imprécations et lamentations du livret. En même temps, les danseurs ont traduit avec finesse le sens profond des textes raffinés du poète dramaturge. Au total on a créé une atmosphère contradictoire, mélange d’amour, d’angoisse, de haine aussi, tout à fait propice à l’évolution de la tragédie.

L’action s’est déroulée dans un décor (Prune Nourry) d’une simplicité spartiate : un fond noir ou blanc, un mur (très élaboré) de style cyclopéen symbolisant sans doute les interdictions et les frustrations des personnages humains ou divins. C’est seulement à la fin de la tragédie que la scène s’est habillée grâce à l’apparition de l’arbre : complexe et tourmenté, sans feuillage, avec des branches se tressant, s’entrecroisant, se séparant pour se rencontrer quelques mètres plus haut : une créature spectaculaire, impossible en somme.

Angelin Preljocaj, bon chorégraphe, a fait danser sans répit les excellents éléments du Ballet du Grand Théâtre de Genève. En plus de cela, il a obligé les chanteurs à emprunter les pas de danse de ses danseurs, cherchant à tout moment le geste qui pouvait traduire au mieux le texte que l’acteur était en train de réciter. Paradoxalement cette option a renforcé les intentions des personnages (comme si la seule communication orale était insuffisante) ce qui a facilité grandement le suivi de l’intrigue.

De son côté, Leonardo García Alarcón en bras de chemise face à sa Cappella Mediterranea, a pris résolument la direction de la représentation tout entière. Très attentif à la fosse comme à la scène, imprimant à tout instant le dynamisme demandé par la partition, il a conduit de main de maître les uns et les autres. Il a respecté la toute relative puissance des voix et il s’est bien occupé des chœurs (magnifiquement préparés par Alan Woodbridge), en battant la mesure avec sa gestuelle expressive, aux mille possibilités.

Des chanteurs face à leurs personnages pour la première fois

Aucun des chanteurs présents sur scène n’avait participé à la reprise de la production de Christie-Villégier de 2011. Cela veut dire que pour eux tous il s’agissait là d’une prise de rôle, l’équivalant donc de la création d’une œuvre nouvelle. Leur sens de la scène et leur maîtrise du récitatif en particulier, ont représenté autant d’atouts qui leur ont permis de remplir plus que correctement leurs rôles.

Matthew Newlin a été un Atys amoureux sans nul doute, n’hésitant pas à mentir à la déesse pour préserver sa bien-aimée. L’acteur a parfaitement maitrisé la diction française - on dira la même chose du reste de la distribution à majorité non française- et il a suivi docilement les pas de danse imposés par le directeur de scène, une vraie performance d’acteur. Par la lumière et la richesse du spectre de sa voix et la fragilité de son jeu théâtral, Ana Quintans a créé une Sangaride totalement crédible. Elle a incarné un personnage écrasé entre l’autorité du père le fleuve Sangar -superbement endossé par Luigi De Donato- l’obsession amoureuse du roi Célénus -Andreas Wolf à la diction suave mais d’une grande fermeté- et ses propres sentiments vis-à-vis d’Atys. Giuseppina Bridelli a dû affronter un rôle impossible. Sa voix de diamant, claire et pure, solaire par moments ne pouvait que très difficilement épouser la deuxième partie de son personnage, celui de la Cybèle blessée, vengeresse, ayant perdu tout sens de l’équilibre et de la mesure. Et ce fut encore plus difficile pour elle de jouer le retournement final, le pardon du traitre et sa décision de le transformer en arbre tout en le pleurant avec la merveilleuse phrase conclusive : « Que le malheur d’Atys afflige tout le monde ! »

Ces rôles principaux ont été bien appuyés par les qualités artistiques du reste de la distribution, que ce fût la voix puissante de Nicholas Scott (Le Sommeil), la finesse de Gwendoline Blondeel (superbe Doris/Iris/Divine fontaine 2/Flore), la présence sur scène de Lore Binon (Mélisse/Divine fontaine 1), et l’apport présentiel et vocal de Michael Mofidian, Valerio Contaldo et José Pazos.

Photographie : Atys mort au pied de son arbre (photo Grégory Batardon)

Lully : Atys. Avec Matthew Newlin (Atys), Giuseppina Bridelli (Cybèle), Ana Quintans (Sangaride), Andreas Wolf (Célénus/Le Temps), Michael Mofidian (Idas/Phobétor/Un songe funeste), Gwendoline Blondeel (Doris/Iris/Divine fontaine 2/Flore), Lore Binon (Mélisse/Divine fontaine 1), Nicholas Scott (Le Sommeil), Valerio Contaldo (Morphée/Dieu de Fleuve), Luigi De Donato (Le Fleuve Sangar), José Pazos (Phantase). Chœur et Ballet du Grand Théâtre de Genève. Leonardo García Alarcón (direction musicale), Angelin Preljocaj (mise en scène et chorégraphie), Prune Nourry (décors), Jeanne Vicérial (costumes), Éric Soyer (lumières), Alan Woodbridge (direction des chœurs). Grand Théâtre de Genève, mardi 1er mars 2022. Représentations jusqu’au 6 mars.

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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