Adriana, la vie, le théâtre
Francesco Cilea aurait été satisfait et même heureux de voir son Adriana Lecouvreur telle qu’elle a été représentée à Liège.
- Publié par
- 24 avril 2023
- Critiques
- Opéra & Classique
- 0
-
ARNAUD BERNARD, METTEUR EN SCÈNE SENSIBLE et bon connaisseur d’Adriana Lecouvreur, nous a offert une production conforme au livret en soulignant avec intelligence certains aspects psychologiques des personnages, et en particulier de la protagoniste. Adriana, copie quasi conforme de l’actrice française Adrienne Lecouvreur (1692-1730), est enfermée dans son ambiance théâtrale jusqu’à la fin de ses jours, mais ceux qui l’entourent, amis ou ennemis, pensent et agissent aussi portés par une main invisible selon un livret pré-écrit.
Sur la scène du magnifique Théâtre royal de Wallonie-Liège, Arnaud Bernard et Virgile Koering ont imaginé une autre scène à l’envers (le faux public se trouve au fond de la vraie scène), détaillée, identique au réel. C’est là que se déroule le premier acte. Ce décor, inamovible, reste toujours présent aux yeux du public et dans l’esprit de Lecouvreur et de son entourage pendant toute la durée du drame. De fait, les lieux où se déroulent les actes suivants (le Pavillon de la Grange-Batelière, le palais des Bouillon, ou la chambre mortuaire de la malheureuse actrice) ne sont autre chose que des décors au sein du théâtre proprement dit, où se déploient les vies théâtralisées des personnages.
Où est le monde réel ?
Le travail dramatique demandé par le metteur en scène à ses artistes confirme en grande partie l’idée que dans le monde où ils évoluent (a priori le monde réel), les personnages sont conscients non pas de vivre mais de jouer une tragédie. Au troisième acte, la tirade déclamée par Adriana, prise dans Phèdre de Racine, ne fait que renforcer cette impression. Cerises sur le gâteau, l’éclairage signé par le magicien des lumières Patrick Méeüs et les somptueux costumes du Second Empire de Carla Ricotti, magnifient les options du metteur en scène.
On pourrait estimer peut-être que l’orchestre dirigé par Christopher Franklin se montre un peu trop puissant et que les voix, en particulier celles des deux protagonistes, se déploient avec une excessive intensité. Pour être tout à fait honnête, il faut préciser qu’à l’époque de la création de l’œuvre (1902) le public n’en attendait pas moins ! Les décibels émis par l’orchestre de l’Opéra de Liège (la salle est sonore) rendent donc justice aux intentions du compositeur.
Puissance et insolence
Pour sa première intervention à Liège, Carolina López Moreno (Adriana) remporte un triomphe mérité. Grâce à son lyrisme et à son tempérament, elle sait exprimer avec précision et autorité l’amour, le courage, le désespoir et mille autres facettes du personnage. Elle maîtrise totalement son souffle, et c’est avec clarté et justesse, une grande élégance en somme, qu’elle surmonte les difficiles passages piano… malheureusement peu fréquents dans la partition. Son célèbre air initial a obtenu un franc succès mais c’est dans le duo final avec son partenaire qu’elle a donné le meilleur d’elle-même. Luciano Ganci (Maurizio) est très convaincant dans l’expression de ses sentiments vrais vis à vis d’Adriana, moins vrais auprès de la princesse de Bouillon. Son émission particulièrement agréable en basse intensité devient un peu plus dure lorsqu’il monte en puissance. Juste et viril, il affronte le registre aigu avec une assurance et une réussite qui frisent presque l’insolence par moments.
À leurs côtés, on peut détacher Mario Cassi, Michonnet très émouvant au dernier acte, moins préoccupé par ses affaires que par son affection envers la diva. Mattia Denti (Bouillon), baryton-basse à l’émission affirmée, a une voix ample et bien timbrée, et Anna Maria Chiuri (la princesse de Bouillon), très applaudie pour son élégante présence au troisième acte, ont su eux aussi tirer leur épingle du jeu. Et n’oublions pas les apports très brefs mais opportuns de Pierre Derhet (Chazeuil), Dall’Amico (Quinault), Alexander Marev (Poisson), Hanne Roos (Jouvenot), Lotte Verstaen (Dangeville).
Photo : Jonathan Berger
Francesco Cilea : Adriana Lecouvreur. Avec : Carolina López Moreno (Adriana), Luciano Ganci (Maurizio), Mario Cassi (Michonnet), Anna Maria Chiuri (la principessa di Bouillon), Mattia Denti (Il principe di Bouillon), Pierre Derhet (Chazeuil), Dall’Amico (Quinault), Alexander Marev (Poisson), Hanne Roos (Jouvenot), Lotte Verstaen (Dangeville). Mise en scène : Arnaud Bernard. Décors : Arnaud Bernard et Virgile Koering. Costumes : Carla Ricotti. Lumières : Patrick Méeüs. Chef des chœurs : Denis Segond. Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie-Liège, dir. Christopher Franklin. Opéra royal de Wallonie-Liège, 20 avril 2023.