Schubert-Schumann : les symphonies (2)

Après l’intégrale des symphonies de Schubert par Christophe Rousset, Daniele Gatti dirige celle des symphonies de Schumann.

Schubert-Schumann : les symphonies (2)

SCHUMANN, DE SON CÔTÉ, ATTENDIT comme Beethoven d’avoir atteint la trentaine avant de composer sa première symphonie, après une décennie presque entièrement consacrée au piano. Il n’illustrera le genre qu’à quatre reprises (cinq, si l’on considère les deux versions de la symphonie qui porte le numéro 4) mais s’efforcera de renouveler la forme de chacune de ses partitions. Daniele Gatti nous en offre l’intégrale en deux concerts, à la tête de l’Orchestre national de France dont il a été le directeur musical de 2008 à 2016. Il faut bien sûr faire la part des choses : une formation symphonique comme l’Orchestre national ne peut que sonner différemment d’un ensemble d’instruments historiques comme les Talens lyriques, même si l’on sait que la disposition de l’orchestre, par exemple, et bien sûr la conception du chef, jouent leur rôle dans la manière de faire vibrer une partition.

La Symphonie « Le Printemps » est donc la première. Ce n’est pas la plus accomplie, sa structure est sans surprise et son orchestration peu aventureuse. Mais Daniele Gatti sait qu’on fait souvent ce mauvais procès à l’ensemble des œuvres pour orchestre de Schumann. Il installe les premiers violons face aux seconds de manière à faire respirer l’orchestre, et fait chanter le hautbois une belle éloquence. Le deuxième mouvement, ici très effusif, s’achève par un bref et insolite choral des cuivres, qui produit une soudaine impression de concentration. Dans le finale, Daniele Gatti creuse le relief, de sorte que les bois nacrés dialoguent avec des cordes majestueuses : une symphonie encore timide a trouvé son messager.

La Troisième Symphonie dite « Rhénane » est d’une tout autre ampleur, et habite avec majesté l’acoustique de l’Auditorium de Radio France dont on ne dira jamais assez les vertus. Nous avions gardé le souvenir de timbales agressives dans le premier mouvement d’une Rhénane par les mêmes interprètes, il y a quelques saisons. Cette fois, l’équilibre est bien dosé, de même le dialogue d’une grande noblesse entre les trombones et les cors dans le solennel quatrième mouvement. Comme il le fait parfois (dans un passage du Bal de la Symphonie fantastique de Berlioz, par exemple), Daniele Gatti demande à la moitié des instruments à cordes de se taire dans le troisième mouvement, de manière à donner à la musique une intimité qui fait contraste avec le scherzo assez allant qui précède et le Feierlich qui suit. Cette Rhénane parcourt ainsi les climats les plus divers.

Chant et contre-chant

Le second concert est une manière d’apothéose, avec d’abord une Deuxième Symphonie comme on en a rarement entendu. L’introduction olympienne, fouettée par le conflit entre les cuivres et les cordes, conduit à un Allegro fiévreux, à un scherzo nerveux et surtout très articulé, puis à un Adagio espressivo suspendu, avec cette phrase du hautbois et ce contre-chant du basson qui en disent toute la poésie. Le quatrième et dernier mouvement, certes, nous fait redescendre sur terre, mais il y a dans cette interprétation une énergie qui pulvérise tous les clichés sur Schumann-celui-qui-ne-savait-pas-orchestrer.

La Quatrième Symphonie, conçue d’un seul tenant avec ses quatre mouvements enchaînés, est ici solidement construite par un chef qui est aussi un architecte de la forme. On applaudit les vents de l’Orchestre national, volubiles et pleins d’éloquence, on remercie encore Daniele Gatti d’avoir installé les violons I et II face à face ; sinon, comment restituer le relief de l’orchestre de Schumann, bien plus aéré qu’on le répète par routine un peu partout ? Nous sommes ici dans une salle de concert et non pas dans un théâtre, les musiciens ne jouent pas des bassons ou des cors de 1810, mais il y a là une fougue, une inquiétude, des sautes d’humeur qui sont tout à fait dans la veine de Schumann.

Dernière question : qui, après pareille démonstration, osera encore prétendre que l’orchestre de Schumann ne sonne pas ?

Illustration : Robert Schumann et Franz Schubert (dr)

Schubert : intégrale des symphonies. Les Talens lyriques, dir. Christophe Rousset. Théâtre du Châtelet, vendredi 27, dimanche 29 et mardi 31 janvier 2023.
Schumann : intégrale des symphonies. Orchestre national de France, dir. Daniele Gatti. Auditorium de Radio France, jeudi 26 janvier et mercredi 1er février 2023.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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