Malakoff, Théâtre 71 jusqu’au 16 avril 2010
Passion selon Jean de Antonio Tarantino
Chemin de croix
Ce second volet de la tétralogie écrite par Antonio Tarantino, sous le titre Quattro atti profani (Quatre actes profanes), se situe dans le prolongement d’une loi italienne Centottenta (Loi 180) promulguée en 1978. Elle concerne la transformation des asiles d’aliénés, jusqu’alors gérés de manière archaïque par des religieux sans formation médicale, en hôpitaux psychiatriques. Graphiste et peintre avant de devenir écrivain pour le théâtre en 1992 à l’âge de 53 ans, Tarantino a vécu de près cette évolution ayant été lui-même tuteur d’un malade interné durant quinze ans dans un hôpital de Brescia. Cette pièce, qui porte en sous-titre “Mystère pour deux voix”, met en présence dans le hall d’une Caisse des pensions et des retraites, deux personnages réunis dans la longue et improbable attente d’un contrôle médical. Jean, l’infirmier, promu de la fonction d’aide-soignant à celle de psy, et Moi –Lui en personne, schizophrène s’identifiant au Christ pour tenter d’assembler les morceaux d’une personnalité éclatée. Le premier ancré dans la réalité de son quotidien et la pauvreté de sa condition sociale, tentant d’aider avec application son patient dans sa quête de restructuration psychique et morale. Le second, hospitalisé depuis des années au Fatebenefratelli (Faites l’bien mes frères), est déconnecté du monde extérieur. Il est ailleurs accroché à endosser l’identité de Jésus dont il revit à sa manière le procès, le calvaire et la crucifixion, convoquant avec les apôtres ses obsessions et ses fantasmes, pour trouver sa propre affirmation existentielle. Car, à travers son cheminement mental et dans l’acceptation de sa pathologie, Moi-Lui cherche surtout des preuves pour conforter une reconnaissance humaine loin de lui être acquise : “Je suis en vie je suis en vie/ j’ai le certificat / existence en vie / C’est écrit là/ que l’Jean c’en l’est l’témoin / et il a signé pour moi/ que lui me garantit/ que je suis en vie/ hein l’Jean que je suis en vie ? Hein ?”.
La relation entre les deux hommes est semée d’embûches et de tourments, de rapprochements et de fractures, où le présent social et politique croise la mythologie chrétienne. Leurs monologues respectifs ou leurs rares dialogues ne contribuent pas à l’élaboration d’un théâtre documentaire, mais parviennent à faire ressentir les rouages intérieurs de l’aliénation. Ils s’expriment à partir de l’écriture colorée et poétique de Tarantino, inventive ou associant les néologismes aux bribes de dialecte pour construire un langage singulier qui traduit l’altération de la pensée. Elle apparaît avec intensité dans l’interprétation remarquable des deux comédiens Olivier Cruvelier (Jean) et Paul Minthe (Moi-lui), qui, avec subtilité et retenue portent tour à tour les accents comiques et tragiques de cette fable troublante. A l’origine du projet, ils ont eu l’excellente idée de solliciter Jean-Yves Ruf pour les accompagner dans ce voyage intérieur. Sans artifice ni illustrations redondantes, sa mise en scène opte pour la sobriété. Elle privilégie fort justement la matière dramatique de l’écriture, articulant ses pulsations et les rythmes de sa musicalité ou la prolongeant par des ruptures ou des silences révélateurs, dans l’architecture adaptée et évocatrice de la scénographie de Laure Pichat et avec les apports de Christian Dubet (lumière) et de Jean-Damien Ratel (son).
Passion selon Jean, Mystère pour deux voix, texte Antonio Tarantino, traduction Jean-Paul Manganaro, mise en scène Jean-Yves Ruf, avec Olivier Cruveiller et Paul Minthe. Lumière Christian Dubet, son Jean-Damien Ratel, scénographie Laure Pichat. Durée : 1 h 15. Théâtre 71 de Malakoff jusqu’au 16 avril 2010
Photo Mario-del-Curto
