Misericordia d’Emma Dante au Théâtre du Rond-Point

Trois femmes au plus près de leur enfant différent et ensorceleur.

Misericordia d'Emma Dante au Théâtre du Rond-Point

L’auteure et metteuse en scène Emma Dante a adopté un enfant, il y a peu d’années ; le thème de la maternité s’est alors imposé, et de manière plus aiguë, après avoir assisté, dans un hôpital, au tournoiement sur lui-même d’un petit garçon autiste, virevoltant et riant, sans un vertige :
« Heureux, comme si son centre était dans ce tourbillon ; cette danse n’avait pas d’autres source que le bonheur, ou la vie », soit un point de départ pour raconter cette maternité. Le soir même, la conceptrice va voir danser Simone Zambelli - prestance et prouesse d’une chorégraphie inouïe - : il interprétera l’enfant Arturo, accompagné sur scène par trois mères, des actrices de la compagnie, Italia Carroccio, Manuela Lo Sicco, Leonarda Saffi.

L’exploration de la maternité passe par l’histoire d’une famille défavorisée et en grande difficulté qui s’unit pour survivre et « sauver » le fils - accouchement symbolique de l’enfant et du spectacle.
La miséricorde est la sensibilité à la misère et au malheur d’autrui - bonté, solidarité compassion. Emma Dante estime que les temps actuels font preuve de grande intolérance entre les êtres, surtout envers ceux qui, défavorisés et fragilisés, nécessitent d’être accompagnés.

Aussi le public doit-il accepter cette famille réduite à vivre dans des conditions indignes et inacceptables - une miséricorde qui concerne davantage les spectateurs, plutôt que les mères, qui d’emblée ont de la compassion et aiment l’enfant intuitivement, le soignent et le préparent à vivre.
Douceur, brutalité, humour, gravité, telle est cette famille indigente et atypique, réunie par la misère et un grand coeur. Amour et résistance, ces trois tisseuses du temps accomplissent des miracles.

L’horreur naît aux yeux des autres, quand la mère ne parvient pas à être amour et douceur. La mère n’aimant pas son enfant est une erreur de la nature, un monstre, une incarnation du mal.
L’image de la maternité conserve de tout temps un impact social positif irremplaçable. Les valeurs attachées à la mère symbolisent le progrès social et le courage sacrificiel qu’il exige…

Ce sur quoi l’art fulgurant et perspicace d’Emma Dante a fait mouche sur la scène théâtrale, c’est le bouleversement même des images convenues, leur mise à mal et leur distorsion - maltraitance du mythe de la mère idéale qui n’existerait qu’en passant sous silence sa féminité et sa chair.

Sur le plateau, nul oubli de la chair et de la féminité qui sont mises en avant : les mères gagnent leur vie en étalant leur corps érotique, jouant d’humour et de sensualité sur la scène. Elles quittent leur logement pour faire commerce de leur corps. Bettina, Nuzza et Anna s’occupent de leur enfant « différent », s’adonnant aux travaux d’aiguilles dans la journée, puis à la prostitution en soirée.

Elles exhibent ainsi leur nature vicieuse et animale, selon les médisances de certains, misogynes et puritains, en proie au refoulement sexuel, parlant des mauvais instincts féminins : « … ô femme, ô reine des péchés,… vil animal … » (Baudelaire) ou bien encore « C’est l’abomination divine de la chair de la femme !(…) Il savait… Il avait vu le signe de l’abomination divine que portent toutes les femmes. (William Faulkner, Lumière d’août, Dictionnaire culturel en langue française, Le Robert.)

Musique, numéros de strip-tease, intensité d’un corps qu’on domine, en même temps que sa soumission aux désirs de l’autre, le premier désir de la mère rebelle est bien d’exister par elle-même - ce que font les mères de Misericordia, infiniment présentes à l’enfant, inquiètes et moqueuses, dressant de lui un portrait en majesté, et espérant pour le garçon une vie salutaire.

Misericordia, conception d’ Emma Dante, lumières Cristian Zucaro, surtitres Franco Vena, traduction Juliane Regler. Avec Italia Carroccio, Manuela Lo Sicco, Leonarda Saffi, Simone Zambelli. Du mercredi au vendredi, 20h30, samedi, 19h30, dimanche, 15h, relâche : lundi 9 et mardi 10 octobre, spectacle en italien, surtitré en français au Théâtre du Rond-Point 75008. Les 5 et 6 décembre 2023 Le Grand T, Théâtre de Loire- Atlantique / Nantes (44). Du 8 au 10 décembre 2023, Théâtre-Sénart, Scène Nationale (77). Le 12 décembre 2023 Théâtre des Quatre Saisons / Gradignan (33). Du 16 au 18 janvier 2024 Teatro Chiabrera / Savona (IT). Le 20 janvier 2024, Teatro dell’Unione / Viterbo (IT). Les 22 et 23 janvier 2024, Teatro Secci / Terni (IT). Du 29 février au 3 mars 2024, Teatro Stabile, Catania (IT).
Crédit photo : Masiar Pasquali

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Véronique Hotte

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