Paris, Théâtre du Rond-Point jusqu’au 7 mai 2010
Les Nouvelles Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio et Jean-Michel Ribes
A la bonne vôtre !
Le bistrot est un lieu de passage et de brassage. On y boit un verre en coup de vent, entre deux rendez-vous. On y donne rendez-vous à ses amis …On y va, comme Nathalie Sarraute, pour s’isoler et écrire, ou pour s’y sentir moins seul….client pressé ou pilier de comptoir, on s’y croise, on y parle de soi, « j’arrête de boire je grossis, j’arrête de fumer je grossis, je suis sûre que si j’arrête de bouffer je grossis ! », et du monde, « Je ne vois pas pourquoi on veut toujours marcher sur la lune alors que sur la terre on prend toujours sa bagnole »….
De boutades cocasses en plaisanteries parfois scabreuses, de saillies surréalistes en réflexions d’implacable bon sens, ce sont les états d’âme d’une société qui se révèlent. Raison pour laquelle Jean-Marie Gourio, oreilles aux aguets, n’en finit pas de collectionner les brèves de comptoir. Après une pose de quelques années, il est reparti naviguer de « rade » en « rade », muni de son filet de pêche, histoire de voir comment ça sonne aujourd’hui.
Avec, comme en 1994, la complicité dramaturgique de Jean-Michel Ribes, ces instantanés, juré craché, servis tels quels sur le zinc, sont devenus trois pièces de théâtre (Editions Actes Sud-Papiers), qui racontent, selon, une journée, une année, une semaine de la vie d’un café. C’est cette dernière que Jean-Michel Ribes a choisi de mettre en scène dans sa maison.
Du lundi au lundi suivant, on change de café et de patron, mais où qu’il soit, de toute évidence dans un quartier populaire, (décor de Jean-Marc Sthélé), s’y croise toute une population pour qui la vérité sort plus facilement du fond d’un verre de beaujolais que du puits, sauf si l’eau est celle que l’on met dans le Ricard. On va, on vient, on trinque et l’on parle de ce qui est dans l’air du temps : d’Obama, « C’est bien pour la France que les américains aient un président antillais », du chômage, « C’est difficile de travailler plus pour gagner plus dans une usine qui ferme », de l’éducation des enfants, « Moi, j’ai rien appris à l’école, ça me sert encore ».
Des comédiens en verve
Sous la houlette de Jean-Michel Ribes, les comédiens - dont certains, telle Chantal Neuwirth, levaient déjà le coude pour la cuvée de 1994 au Théâtre Tristan Bernard - changent de rôle comme on change de chemise, croquent en une réplique et à la pointe sèche leur personnage de postière, mareyeur, médecin, étudiante, écrivain, égoutier, pompier, SDF, ivrogne, dame à chapeau, etc.….leur verve a celle de ces Nouvelles Brèves de comptoir, dont toutes, c’est le genre qui veut ça, ne sont pas du même tonneau. Il arrive qu’un pt’tit blanc ne soit pas toujours vraiment gouleyant.
Pour Jean-Michel Ribes, « Les Brèves seront un matériau idéal pour l’historien qui voudra savoir dans quelques années, quelles étaient les préoccupations de la chair du peuple ». Certes, mais à l’heure de l’express à plus de 2 euros, du demi à cinq, où le fumeur risque, l’hiver, la fluxion de poitrine, « bientôt le saumon fumé faudra le manger sur le trottoir », alors que le troquet du coin mute en « Happy hours » quand il ne disparaît pas, la brève de comptoir risque de devenir une espèce en voie de disparition. Alors, en attendant un tel désastre, profitez de celles servies au Théâtre du Rond-Point et régalez-vous d’une bonne pinte de rire.
Les Nouvelles Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio et Jean-Michel Ribes, mise en scène Jean-Michel Ribes avec Alban Casterman, Laurent Gamelon, Annie Grégorio, Patrick Ligardes, Chantal Neuwirth, Marcel Philippot, Alexie Ribes, Hélène Viaux. Durée : 1h40
Théâtre du Rond-Point jusqu’au 7 mai tel 01 44 95 98 21
© Brigitte Enguérand
