Au Théâtre de la ville-Sarah Bernhardt jusqu’au 10 février 2024

Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare

Au coeur de la forêt profonde

Le Songe d'une nuit d'été de William Shakespeare

À l’occasion de son mariage avec Hippolyte la reine des Amazones (Édouard Eftimakis), le roi athénien Thésée (Marie-Anne Alvarez) organise une fête au cours de laquelle un petit spectacle de tréteaux sera proposé par des comédiens amateurs, les artisans du village dont le thème est l’histoire d’amour de Pyrame et Thisbé qui se rencontrent furtivement à la faveur de la nuit, synthèse burlesque des thématiques développées dans le Songe : l’amour, la nuit, et au-delà le dialogue entre réel et imaginaire. Le théâtre dans le théâtre cher à Shakespeare, participe à la réflexion sur les jeux de pouvoirs mis à l’œuvre dans Le Songe d’une nuit d’été (1595) de Shakespeare, une fantaisie qui conjugue comédie et merveilleux et s’achève gaiement avec le projet de trois mariages.
Thésée veut marier sa fille Hermia (Sabrina Ouazani) à Démétrius (Jauris Casanova), lui-même aimé par Helena (Élodie Bouchez), mais Hermia aime Lysandre (Jackee Toto) avec qui elle prend la fuite et tout le monde se retrouve dans la forêt pour d’étranges aventures. Une fleur magique appelée « pensée d’amour » bouleverse les relations entre les amoureux et produit des imbroglios comiques ; Titania, la reine des fées (Valérie Dashwood) est ridiculisée par le roi des fées Obéron (Philippe Demarle) qui grâce à ses pouvoirs, la rend amoureuse d’un âne (Gérald Maillet qui est aussi Bottom le tisserand) pour se venger d’une récente querelle. Dans cette comédie féerique au cœur de la forêt profonde, Shakespeare s’amuse à manipuler ses personnages qu’il soumet à des forces surnaturelles détentrices du pouvoir suprême, montrant ainsi combien nous sommes conduits aveuglément par nos passions, nos émotions, notre inconscient. La forêt serait bien le personnage principal de la pièce, avec un Puck démultiplié (Édouard Eftimakis, Mélissa Polonie, Llona Astoul), qui, sur commande d’Obéron, tire les ficelles de la mystification.

La mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota met la dimension comique en sourdine. La comédie cède le pas à une féerie inquiétante qui court-circuite le rire provoqué par les quiproquos amoureux, les facéties des fées et lutins, l’absurdité des situations. Demarcy-Mota cultive le mystère des profondeurs de l’inconscient dans une scénographie spectaculaire (Natacha Le Guen de Kerneizon) qui crée un sentiment d’oppression et d’enfermement avec ces troncs d’arbre monumentaux dont les cimes invisibles se perdent dans l’immensité, cette forêt sombre, hostile, dénuée de végétation, métaphore des labyrinthes souterrains de l’esprit, des pulsions inconscientes qui nous dirigent. La musique lancinante d’Arman Méliès bat le tempo d’une menace sourde. L’invisibilité, l’obscurité et la forêt sont ici sources de dangers, comme dans les contes. Les personnages, nés de l’ombre, surgissent de nulle part, les fées et les elfes jaillissent de trappes sur le sol qui s’ouvrent brusquement libérant une puissante lumière solaire, Titania vole au-dessus du monde ici-bas.
La conception scénique et la technique sont impressionnantes, mais trop contraignantes pour laisser aux comédiens suffisamment d’espace de jeux ; le point de vue restreint le champ de la pièce en muselant la dimension comique qui en est le cœur battant. Le spectacle renoue avec la dynamique de la pièce avec la représentation finale de Pyrame et Thisbé, farceuse et toute de guingois où Bottom figure le mur à travers lequel les amoureux se parlent. La fin tragicomique suscite le rire et les commentaires de la cour. L’illusion théâtrale renvoie à celle de nos rêves et par ricochet à notre imaginaire qui tord volontiers le réel à sa guise.
Saluons la nouvelle traduction réjouissante de François Régnault prend des libertés avec la versification et avec la langue qui ne dénature en rien le texte.

Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare. Nouvelle traduction François Régnault. Version scénique et mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota. Assistanat à la mise en scène Julie Peigné, assistée de Judith Gottesman. Scénographie Natacha le Guen de Kerneizon, Emmanuel Demarcy-Mota. Lumières Christophe Lemaire assisté de Thomas Falinower. Costumes Fanny Brouste, assistée de Véra Boussicot. Musique Arman Méliès. Vidéo Renaud Rubiano, assisté de Romain Tanguy. Son Flavien Gaudon.
Avec Elodie Bouchez, Sabrina Ouazani, Jauris Casanova, Jackee Toto, Valérie Dashwood, Philippe Demarle, Edouard Eftimakis, Ilona Astoul, Mélissa Polonie, Gérald Maillet, Sandra Faure, Gaëlle Guillou, Ludovic Parfait Goma, Stéphane Krähenbühl, Marie-France Alvarez.
A Paris, au Théâtre de la ville-Sarah Bernhardt jusqu’au 10 février 2024. Durée : 1h50.
© Jean-Louis Fernandez

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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