Avignon, Théâtre du Petit Louvre jusqu’au 31 juillet

Le Baiser de la Veuve d’Israël Horovitz

Le Baiser de la Veuve d'Israël Horovitz

En 1981, Bernard Faivre d’Arcier, qui succédait à Paul Puaux à la tête du Festival d’Avignon, diligentait la première enquête sur le Festival off. Elle recensait alors près de cent dix spectacles et déjà s’alarmait des conséquences d’une prolifération galopante. Trente ans après, ne cessant jamais d’enfler, le off aligne plus de mille spectacles. Il n’y a pas lieu de se réjouir, les obèses, on le sait, sont rarement bien portants. Ce gros corps là, proche de l’asphyxie, n’est pas, comme certains l’affirment, emblématique de la vitalité de la création, mais de la pénurie dont elle est frappée. Hier, à ses prémices, vitrine de la jeune création en marche, autrement dit de la relève, le off, aujourd’hui, n’est plus qu’un vaste champ de foire où seul, le bouche à oreille sert de boussole. Tel le Mot de Victor Hugo, la bonne ou la mauvaise réputation court par les rues, bondit sur la place de l’Horloge, se glisse dans les files d’attente des spectacles. Ainsi, attrapée au vol, la réflexion : « Le Baiser de la veuve au Petit Louvre, ça vaut le coup ». Vérification faite c’est vrai.

Evidemment Israël Horovitz, dramaturge et scénariste, servi aussi bien par Al Pacino que par Laurent Terzieff, joué par des comédiens tels Depardieu, Jane Birkin, Pierre Dux, est déjà une garantie. Mais, au-delà de la force d’un auteur qui nous parle, humour noir et tendresse mêlés, du monde et de son âpre réalité, c’est de plaisir de théâtre et de la découverte d’une jeune et talentueuse équipe qu’il s’agit.

Le baiser de la veuve est celui de Betty, revenue après treize ans d’absence dans la petite ville de son enfance, de celles qui jouxtent les grandes métropoles industrielles, et semblent à l’écart du monde. Elle y retrouve Georges et Bobby, deux anciens camarades de classe, manutentionnaires dans une usine de recyclage de papier. Elle, a fait des études et est devenue critique, eux, englués dans leur condition sociale ressassent, comme on gratte ses plaies, leur adolescence turbulente. La violence et les coups semblent leurs seuls moyens de communication. Au cours de la rencontre, ils évoquent des souvenirs, à mesure des échanges, le trouble s’installe sous la pression de Georges, un paumé que le mal de vivre transforme en roquet, la tension monte, l’apparent vernis des souvenirs craque, et tous trois doivent affronter à nouveau la même et terrible histoire qui les rassemble. Un viol collectif dont Betty fut la victime.

Dans un décor qui évoque à la fois le labeur et l’enfermement, la mise en scène prend la pièce à bras le corps et pousse la violence et le désarroi à son comble. Elle est signée Grégory Benoît, jeune chef de la troupe Les Yeux grand ouverts créée en 2005 et implantée en Haute-Savoie. L’allure et la fougue adolescentes, le jeune metteur en scène qui a fait du mot d’Antoine Vitez, « un théâtre élitaire pour tous », sa profession de foi, avec Le Baiser de la veuve, organise, à la manière d’une enquête policière, un formidable cauchemar à vous glacer l’échine. Au bout du compte le verdict n’est pas prononcé, car, pour le metteur en scène comme pour l’auteur, les personnages ne sont pas réductibles à la seule notion de coupable et innocent. Servi par trois excellents comédiens, Grégory Benoît, avec une belle maîtrise de la scène et de l’espace, s’ingénie à les lester de leur poids d’humanité. Sous l’assurance et les feintes indifférences de Betty, plus que le simple désir de vengeance, vibre l’impossible oubli. Sous la bêtise machiste de Bobby et de Georges, la détresse de vies perdues, sous le sordide, ses horreurs, sa violence, ce sont les bleus à l’âme qui se révèlent.

Oui, le bouche à oreille avait raison, Le Baiser de la veuve au Petit Louvre, mérite le détour ; répétez-le.

Le Baiser de la Veuve d’Israël Horovitz, mise en scène Grégory Benoit avec Jehanne Flavenot, Kamel Isker, Julien Renon. 1h 40
Petit Louvre (La Chapelle) à 21h55 jusqu’au 31 juillet tel 04 90 86 04 24

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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