La Côte-Saint-André 2023 (II) : Ercole salvator

« Hercule sauveur » : tel pourrait être le titre de l’oratorio de Zad Moultaka et Bruno Messina, créé lors du Festival Berlioz.

La Côte-Saint-André 2023 (II) : Ercole salvator

OUTRE DEUX INSTALLATIONS SONORES signées Zad Moultaka, proposées à la Médiathèque de La Côte-Saint-André (Reliquien, jusqu’au 3 septembre) et dans la chapelle du Couvent des Carmes de Beauvoir-en-Royans (Sisyphe, jusqu’au 30 novembre), on a pu assister, dans le cadre du Festival Berlioz, à la création d’un oratorio du même compositeur intitulé Hercule, dernier acte.

Né en 1967 au Liban, Zad Moultaka est compositeur et plasticien, et vit aujourd’hui en France. On a utilisé le mot « oratorio », mais son Hercule n’a rien d’un ouvrage mettant en scène des personnages évoluant au cœur d’un drame d’inspiration sacrée. Il s’agit d’une œuvre pour six voix solistes et dispositif électroacoustique, les sons environnant les spectateurs installés dans ce très beau lieu de La Côte-Saint-André qu’est la chapelle de la Fondation des Apprentis d’Auteuil. Bruits travaillés et souvenirs des musiques de la Méditerranée, entre autres éléments, se fondent ici dans une bande sonore lancinante qui dit l’inquiétude du propos.

Le livret est signé Bruno Messina, par ailleurs directeur du Festival Berlioz*. Hercule y est présenté comme un demi-dieu, né d’une humaine (Alcmène) mais élevé par Héra et Zeus : il n’est pas interdit de penser à Énée, fils d’Anchise et de Vénus, héros des Troyens donnés quelques jours plus tôt dans le même festival. La liste des travaux d’Hercule (il nettoie les écuries d’Augias, tue les oiseaux du lac Stymphale, capture le sanglier d’Érymanthe…) permet de dresser un constat : Hercule n’a pas terminé ce qu’il a commencé – pour autant, « il ne reviendra pas ». D’une certaine manière, le héros est présenté comme un Christ dont on attend qu’il achève ce qu’il a commencé, qu’il offre ce qu’il a promis. Mais Dieu est-il un héros ? Hercule finit par se réveiller, tel Fafner dans Siegfried, mais c’est pour ne pas intervenir et rappeler aux hommes qu’ils sont responsables, eux, de l’état du monde : chacun a-t-il un Hercule en soi ? L’œuvre s’achève sur un hymne à Gaïa ponctué d’un « Alleluia » : paganisme et christianisme vont de pair jusqu’au bout**.

Bruno Messina ne raconte pas une histoire, on l’a dit : il procède par incantations, alerte sur le péril que court la Méditerranée, sur la soif de liberté qu’expriment les femmes dans certaines parties du monde, sur la couardise des politiques (« pantins, pétochards, perroquets »). Les voix de Musicatreize, tantôt solistes, tantôt réunies, utilisent le chant autant que la parole scandée, et se déplacent dans l’espace de la chapelle. Un chanteur agite brièvement des clochettes, un autre fait sonner une grosse caisse : mais c’est peu. Le spectacle est également visuel : un écran où sont projetés des paysages (en couleur, en noir et blanc, puis dans un noir et blanc saturé) nous fait voir aussi en gros plan les visages des chanteurs, procédé qu’on a beaucoup vu à l’opéra.

Si le texte alerte et s’engage, on aimerait que la musique, à laquelle les images apportent peu, s’en nourrisse davantage. Une musique qui aurait également un tout autre relief si les instruments, ceux réunis sur le plateau et d’autres, ajoutaient leur couleur au dispositif sonore. Pour susciter l’angoisse et même l’espérance, rien ne remplace la présence de la musique acoustique. Peut-on croire encore que la technologie puisse être l’avenir de l’humanité ?

Image : Zad Moultaka (photo Festival d’Île-de-France)

* Bruno Messina a publié chez Actes Sud une biographie de Berlioz (2018) et un roman intitulé 43 feuillets (2022) sur le destin incertain des intermittents.
** Curieusement, la Monnaie de Bruxelles présentera, à partir du 10 septembre, la création d’un opéra de Bernard Foccroule qui met en scène, sous le titre Cassandra, la Cassandre mythique et une Sandra d’aujourd’hui qui a les traits d’une activiste du climat. Les personnages de Berlioz sont partout !

Zad Moultaka : Hercule, dernier acte, livret de Bruno Messina (création mondiale). Ensemble Musicatreize (Émilie Husson, soprano ; Saskia Salembier et Alice Fagard, mezzo-sopranos ; Xavier de Lignerolles, ténor ; Patrice Balter, baryton ; Cyrille Gautreau, basse), dir. Roland Hayrabedian ; Renaud Rubiano, réalisation vidéo ; Christophe Hauser, son. Chapelle de la Fondation des Apprentis d’Auteuil, La Côte-Saint-André, 28 août 2023.
L’œuvre sera reprise le 14 novembre à l’Opéra de Rouen.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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