Paris, théâtre du Nord-Ouest
Electre de Giraudoux
Une nuit lumineuse
Nous rendons très rarement compte des spectacles du théâtre du Nord-Ouest : sa programmation différente tous les soirs et la distance prise par sa direction avec les règles professionnelles (les comédiens jouent sans être payés) posent des problèmes à la critique. Mais on peut voir là de très bons spectacles ! A l’intérieur d’un festival Giraudoux, conçu autant par Geneviève Brunet et Odile Mallet que par Jean-Luc Jeener, il y a des réussites et particulièrement cette Electre que mettent en scène Brunet et Mallet sans décor, juste dans l’espace incliné de la grande salle. Il est de bon ton de dénigrer Giraudoux mais il n’est pas de bon goût de ne pas l’aimer. Avec lui, la tragédie d’Electre est le grand cri de la jeunesse contre tous les mensonges du monde. Cet épisode des Atrides, qui est, dans les textes mythologiques, le plus sec et le plus féroce, devient le plus tendre et le plus lumineux ici, grâce à un poète qui donne une nouvelle lumière à la nuit des temps. La jeune Electre et son frère Oreste sont la pureté, malgré le sang qu’ils vont faire couler, tandis que les puissants, le roi Créon et Clytemnestre, sont des traîtres à eux-mêmes et à toute morale. Agamemnon a bel et bien été tué par eux, quoi qu’ils en disent. La dernière réplique, enfin, « Cela s’appelle l’aurore », précédée de son développement sur le passage de la nuit au jour, est une splendeur d’un « catastrophisme » précurseur et visionnaire, lorsqu’on pense à tous nos auteurs d’aujourd’hui, hantés par le thème de l’apocalypse moderne.
Odile Mallet et Geneviève Brunet ont bien fait de monter la pièce d’une manière bricolée, avec des perruques et des vêtements qui font souvent garde-robe de théâtre, atelier de costumes, et trouvent leur beauté une fois portés et sublimés par les interprètes. En Electre, Marta Cortón Viñals déploie une très belle flamme, d’une sensibilité et d’une sensualité égales. En Oreste, Gunther van Severen affirme une véritable présence, fondée sur une puissance secrète. Geneviève Brunet a aujourd’hui plus l’âge d’une grand-mère que d’une mère mais elle assume crânement le rôle de Clytemnestre, avec une grande maîtrise des chausse-trapes de ce texte dont il ne faut pas faire entendre l’éclat mais le double sens. En Créon, Michel Baladi prend avec brio le parti de la drôlerie en dessinant un haut fonctionnaire pitoyable. Enfin, Jean-Pierre Bernard prend en charge un rôle secondaire qui est central, celui du mendiant impertinent qui se mêle de tout dans la cour du palais : il met en œuvre une ironie douce, d’autant plus fracassante qu’elle n’est jamais instante ou appuyée. On a pu voir Jean-Pierre Bernard dans de très grands rôles, chez Barrault ou chez Huster ; il ajoute là une ligne de plus à la liste de ses interprétations majeures. D’autres excellents comédiens participent à cette soirée où la beauté, la douleur et le rire ont la même profondeur de chant.
Electre de Jean Giraudoux, mise en scène de Geneviève Brunet et Odile Mallet, avec Jean-Pierre Bernard, Geneviève Brunet, Marta Cortón Viñals, Gunther Van Severen, Michel Baladi… Théâtre du Nord-Ouest, tél. : 01 47 70 32 75, en alternance, jusqu’au 30 juin. (Durée : 2 h).
© Jules Pajot