Opéra National de Paris - Bastille

Don Giovanni

Mozart version fait divers

Don Giovanni

Il y a un an, la mise en scène iconoclaste par l’homme de cinéma Michael Haneke du mythique Don Giovanni de Mozart avait fait frémir, des yeux et des oreilles, bien des âmes mélomanes. Tandis que d’autres retroussaient de plaisir des babines carnassières. Car ce Don Juan, transposé dans les tours de verre de la Défense, tenait davantage du prédateur en col blanc que du séducteur en chemise de soie.
La reprise de cette production de choc et son transfert du Palais Garnier à l’Opéra Bastille opère un doublement glissement. Tant sur le plan esthétique que sur l’accueil du public. Les larges baies vitrées du décor s’inscrivent comme une prolongation naturelle de l’architecture de Bastille. Le dehors prend place dedans. Quant au public si perplexe et chahuteur d’il y a douze mois, il semble s’être, au choix, assagi, habitué ou séduit.

Des silences qui ralentissent le pouls de la musique

Il reste qu’au terme d’une année, les options taillées au scalpel de Haneke ne résistent pas à une certaine langueur. L’unité de lieu d’un bout à l’autre de l’opéra, avec ses baies vitrées s’ouvrant sur les fenêtres éclairées d’immeubles voisins, ses coursives grises trouées de portes aveugles ou de portes d’ascenseurs et l’éclairage parcimonieux qui plonge la scène dans une semi pénombre quasi permanente finissent par engendrer des plages d’ennui ; De même, les nombreux silences qui entrecoupent l’action - comme au théâtre parlé ou au cinéma et qui, bien évidemment, ne figurent pas dans la partition - ralentissent le pouls de la musique.

Efficace jusqu’au vertige

Une fois passée la surprise, on adopte la métamorphose des personnages : Don Giovanni est muté en parano ivre de pouvoir et de sexe, Leporello devient sa doublure, soumise et interchangeable, Dona Elvire est convertie en provinciale alcoolique, Dona Anna en fille à papa séduite et consentante, le Commandeur en patron de multinationale, Zerlina et Masetto en techniciens de surface. Tout est noir d’encre. Dramma si, giocoso no ! Nous sommes en plein fait divers, harcèlement sexuel et meurtre par rébellion de classe...C’est efficace jusqu’au vertige. Manipulé jusqu’aux surtitres français qui ne traduisent pas Da Ponte mais alignent des dialogues à l’emporte pièces à la mode d’aujourd’hui...C’est un peu Mozart vu du cul.

Peter Mattei, Don Giovanni d’excellence et de référence

Qu’il l’interprète en complet veston cravate ou en pourpoint, Peter Mattei reste le Don Giovanni d’excellence et de référence : maîtrise vocale absolue, diction exemplaire et jeu époustouflant. Avec lui le séducteur libertaire, affublé ici d’un tic nerveux sous la ceinture, frise le désordre mental. A ses côtés Luca Pisanori, toujours aussi juste, campe un Leporello
qui passe du statut de serviteur à celui de subordonné d’une autre type. La soprano autrichienne Arpiné Rahdjian fait ses débuts à l’Opéra de Paris avec une Elvire aux grands moyens vocaux amis aux nuances encore vertes, Carmela Remigio chante Dona Anna en alternance avec Christine Schäfer, un peu paumée, pas toujours sûre d’elle. C’est le ténor américain Shawn Mathey qui offre le Don Ottavio le plus proche de la tradition, amoureux transi aux accents limpides.

Le manque de lyrisme de Sylvain Cambreling, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra, avait été regretté il y a un an. Du moins sa sécheresse s’accordait-elle parfaitement aux partis pris du metteur en scène Haneke. Ce n’est plus le cas pour cette reprise où le jeune Michaël Güttler, comme dépassé par les événements, semble se contenter de battre très sagement la mesure. Mozart y perd ses couleurs.

Il dissoluto punito ossia il Don Giovanni, titre original du Don Giovanni de Mozart repris pour la production de Bastille. Orchestre et Chœur de l’opéra National de Paris, direction Michaël Güttler, mise en scène Michael Haneke, décors Christoph Kanter, costumes Annette Beaufaÿs, lumière André Diot. Avec Peter Mattei, Luca Pisaroni, Mikhael Petrenko, Christine Schaefer (en alternance avec Carmela Remigio, Shawn Mathey, Arpiné Rahdjian, David Bizic, Aleksandra Zamojska.
 Opéra Bastille, les 20,24,27,29,& 31 janvier, 2,5,11,14,17 février à 19h30
 Tel : 08 92 89 90 90

Photo : Eric MAHOUDEAU / Opéra national de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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