Critique - Opéra/Classique

Colpa, Pentimento e Grazia d’Alessandro Scarlatti

Un texte abstrait, une musique sobre.

Colpa, Pentimento e Grazia d'Alessandro Scarlatti

Au début du XVIIIème siècle, Alessandro Scarlatti (1660-1725) fut le précurseur de l’« oratorio », genre pratiqué depuis par d’autres grands compositeurs, que ce fût à l’époque du baroque –Antonio Vivaldi, Georg Frideric Haendel, Georg Philipp Telemann, Johan Sébastian Bach-, comme au siècle du romantisme –Hector Berlioz, Felix Mendelssohn- ou même au XXème siècle (Arthur Honegger, Arnold Schönberg).

Probablement dérivé des mystères médiévaux, l’oratorio se définit comme une cantate de grandes dimensions, souvent à caractère religieux, plus rarement profane, pour solistes, chœur et orchestre, interprété dans le cadre sobre d’une salle de concerts, sans décors ni costumes, à la différence de l’opéra.

« Colpa, pentimento e grazia » (« la Faute, le Repentir, la Grâce »), dont le titre officiel est en fait « Oratorio per la Passione di Nostro Signore Gesù Cristo », est le résultat d’une commande faite à Rome en 1708 par le cardinal vénitien Pietro Ottoboni, neveu du pape Alexandre VIII, un homme très actif dans le monde lyrique de l’époque, particulièrement intéressé par la forme musicale de l’oratorio. On pense même qu’il est, non seulement le commanditaire et donc le mécène de l’œuvre, mais aussi, très probablement, l’auteur du texte.

Celui-ci reproduit sous la forme du récitatif, les lamentations du prophète Jérémie qui s’adressent à « Jérusalem » c’est à dire au monde juif de l’époque. L’auteur du texte les a enrichies de développements poétiques, musicalement excellents mais de qualité littéraire assez médiocre. L’ensemble illustre, non sans une bonne dose de « suspense », la séquence mille fois répétée dans la Bible de la rupture du pacte du peuple hébreu avec l’Eternel et son ultérieure réconciliation. Histoire répétée donc maintes fois que l’on trouve depuis les 40 ans d’errance dans le Sinaï, jusqu’à la destruction du Temple de Jérusalem en 70 en passant par les captivités d’Israël et de Juda en Mésopotamie. En résumé : si les choses vont mal –famine, guerres,…- c’est parce que le peuple n’a pas fait « ce qui plaisait au Seigneur » ; le retour collectif à l’obéissance de la loi peut calmer l’ire divine et rendre la prospérité. C’est seulement au dernier moment –« O Croce »- que Pietro Ottoboni, en prince catholique, remplace le repentir du peuple juif par le sacrifice sur la croix de Jésus-Christ comme élément de rédemption de l’humanité tout entière. On pourrait qualifier l’opération d’« Opa » pas très amicale...

Un plateau extraordinaire.

L’opéra de Massy peut s’enorgueillir d’avoir réuni sur sa scène trois immenses artistes autour de cette pièce. Les applaudissements nourris et sincères qui ont clôturé la soirée ont été les témoins de l’impact produit par leur travail sur le public qui remplissait entièrement la salle. Le célèbre contre-ténor Philippe Jaroussky dans le rôle de « la grâce » a été à la hauteur de sa réputation. Il a caractérisé « la grâce » de façon très discrète conformément à la partition, même s’il a agrémenté deux ou trois de ses interventions avec des notes de fioriture, très à propos mais probablement absentes de la partition originale. Ceci n’a pas empêché l’artiste de montrer ses qualités vocales et interprétatives. Le contre-ténor Valer Sabadus, a montré une grande énergie dans son interprétation de la Faute. Il a eu sans doute les morceaux les plus poignants de la soirée (que l’on pense à « Trombe d’ogni intorno ») qu’il a exécutées avec un art consommé. Finalement, aux côtés de ces deux voix flamboyantes, aigües au plus haut niveau, la contralto Sonia Prina dans le rôle du Repentir a apporté un beau contraste. Elle a brillé lors de ses interventions en solo mais aussi, et surtout en opposant sa voix grave et puissante à celle de ses partenaires en de multiples occasions.

Les seize musiciens des « Les Folies Françoises » sous la direction de Patrick Cohën-Akenine ont accompagné sans faille les trois chanteurs et ont apporté un arrière fonds musical en parfaite conformité avec l’esprit de l’œuvre.

« Oratorio per la Passione di Nostro Signore Gesù Cristo », oratorio de Alessandro Scarlatti, livret (probablement) de Pietro Ottoboni. Orchestre “Les Folies Françoises. Direction musicale Patrick Cohën-Akenine. Avec Philippe Jaroussky, Valer Sabadus, Sonia Prina.

Opéra de Massy le 16 avril 2016. - www.opera-massy.com
Théâtre des Champs Elysées le 22 avril : www/theatrechampselysees.fr

Photos : Peter Perazio - Simon Fowler

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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