Critique – Opéra & Classique

Armida de Gioachino Rossini

Quand Karin Deshayes et ses partenaires ténors triomphent des aléas d’une mise en scène absurde

Armida de Gioachino Rossini

Tirées de La Jérusalem délivrée de Le Tasse, les aventures et mésaventures d’Armida, la magicienne, dépêchée pour déjouer l’avancée des croisés de la chrétienté, mais s’enlisant au final dans le piège de l’amour, ont inspiré un nombre quasi incalculable de poètes et musiciens. Plus de deux cents opéras en moins de trois siècles composés par les plus grands de l’art lyrique, Monteverdi, Gluck Lully, Haendel, Haydn. Celui que Rossini composa en 1817 dans les couleurs de l’opera seria est l’un des moins joués.

Le livret de Giovanni Schmidt est un rien bancal avec un deuxième acte où il ne passe rien hormis les soupirs et les déclarations d’amour d’Armida et de Rinaldo. Et la virtuosité vocale requise pour le rôle-titre que Rossini dédia à la soprano Isabella Colbran qui allait devenir la femme de sa vie trouve difficilement tessiture à ses mesures.

A Montpellier, dans une coproduction importée de l’Opéra des Flandres/Vlaanderen Opera, Karin Deshayes, dans cette prise de rôle à risques, a brillamment relevé le défi. En dépit d’une réalisation guignolesque, où Mariame Clément, metteur en scène qui aime surfer sur les seconds degrés (et+) a eu l’idée de transformer les croisés en footballeurs, et faire de Rinaldo, le doublé croisé de Ronaldo et de Zidane (il tue Gernando d’un coup de tête/de boule). Autant dire que les spectateurs peu accros au foot n’y comprennent rien. Il faudrait, comme ce fut déjà le cas avec l’Armida de Haydn que la même Mariame Clément signa en 2015, distribuer des modes d’emploi avec les programmes (voir WT du 28 janvier 2015). Quand le rideau se lève sur un stade de courses athlétiques, difficile d’imaginer le lieu qu’il représente, quand les croisés/footballeurs jouent au ballon avec une poupée gonflable qu’ils font semblant de baiser par devant, par derrière, plus difficile encore de leur trouver un lien avec l’œuvre ou sa musique….

Sa sensualité servirait-elle de prétexte à ce comique vulgaire ? La sensualité est omniprésente dans les notes et les mots, c’est vrai. Elle vibre, à la fois sentimentale et voluptueuse. En âme et élégance. C’est un Rossini amoureux qui s’épanche en Rinaldo, en Armida, dans leurs duos de braise, dans les trios de ténors, dans les chœurs. Il faut de sacrés timbres – ou timbres sacrés – pour les défendre. L’Opéra de Montpellier a réussi à les rassembler dans une distribution de grande classe. La partition compte huit rôles de ténors, une sorte de record. Ils sont cinq à les défendre, trois d’entre eux incarnent deux personnages. Eduardo Milletti (Gernando/Ubaldo), Dario Schmunck (Goffredo/Carlo), Daniel Grice (Idraote/Astarote), possèdent des timbres clairs, une parfaite maîtrise du style rossinien et une diction compréhensible. Tout comme Giuseppe Tommaso, dans le rôle secondaire d’Eustazio.

Musclé de corps et de voix, Enea Scala était déjà Rinaldo à Anvers et à Gand. Il en reprend les armures, les maillots de footballeur attaquant n° 10 et ses nombreuses coloratures, avec des aigus amples qui filent haut et des graves cuivrés frôlant le baryton. Il forme avec l’Armida de Karin Deshayes un couple pathétique auquel on croit au-delà de l’environnement artificiel que leur impose la mise en scène et les décors.

Cette Armida au vibrato charnel, aux vocalises aériennes, à l’agilité de gymnaste vocale et au jeu pénétré, pénétrant fait de Karin Deshayes, une triomphatrice acclamée du premier rang de l’orchestre aux derniers des balcons.

Après une ouverture un peu en panne de prestesse, le jeune chef Michele Gamba, ancien assistant d’Antonio Pappano, emmène l’Orchestre National de Montpellier Occitanie sur les rails et dans les couleurs de la vivacité rossinienne. Le Chœur de l’Opéra lui fait écho en puissance et en grâce.

Armida de Gioachino Rossini, livret de Giovanni Schmidt d’après La Jérusalem délivrée du Tasse, Orchestre et Chœur de l’Opéra National de Montpellier Occitanie, direction Michele Gamba, chef de chœur Noëlle Gény, mise en scène Mariame Clément reprise par Jean-Michel Criqui, décors et costumes Julia Hansen, lumières Lino de Backer. Avec Karin Deshayes, Enea Scala, Edoardo Milletti, Dario Schmunck, Daniel Grice, Giuseppe Tomaso.

Montpellier – Opéra Comédie, les 28 février et 3 mars à 20h, les 26 février et 5 mars à 15h
04 67 60 19 99 – www.opera-orchestre-montpellier.fr

Photos Marc Ginot

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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