Andromaque de Jean Racine, mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig à L’Odéon - Théâtre de l’Europe.

La tentative de réparation d’un monde délétère, une victoire à la Pyrrhus.

Andromaque de Jean Racine, mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig à L'Odéon - Théâtre de l'Europe.

Le metteur en scène et directeur de L’Odéon-Théâtre de l’Europe, Stéphane Braunschweig, sait de quoi il retourne quand il se penche sur l’un de nos plus emblématiques classiques tragiques, Jean Racine, s’attachant à la façon dont ses tragédies installent les crises passionnelles, révélatrices de bascules historiques. Britannicus (2016) à la Comédie-Française faisait sonner l’avènement de la tyrannie de Néron ; Iphigénie (2020) aux Ateliers Berthier, le déclenchement de la Guerre de Troie ; et n’en déplaise à certains techniciens grévistes un rien déconnectés, grâce à Andromaque, aujourd’hui à L’Odéon 6 è, s’installe avec maestria non pas la paix après la victoire des Grecs sur les Troyens, mais une après-guerre instable, pouvant retourner au chaos à tout moment.

L’intrigue d’Andromaque (1667) décline une chaîne d’amours impossibles non réciproques : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort. Or, pour le metteur en scène, la passion dévastatrice est peut-être liée à « ce que sont ces personnages, vainqueurs ou vaincus, des êtres déjà dévastés par l’horreur traversée à laquelle ils ont survécu. »

Andromaque serait « une pièce post-traumatique, dont les héros marchent dans le sang, à la lisière de la résilience et du retour d’une violence déchaînée. Pyrrhus amoureux, fils d’Achille, se prépare à une guerre contre son camp pour ravir la belle captive. Oreste est mandaté pour tuer l’enfant de celle-ci, héritier du trône de Troie ; Hermione, fille d’Hélène, rêve de meurtre.

Tragédie et cruauté, dans une grande flaque de sang - rappel de piste de cirque - dont les images sont des ombres et des reflets dus à des jeux de lumière sur le mur du lointain qui captent les remous tournoyants, les ronds dans l’eau - l’étrange propagation hasardeuse des ondes due aux déplacements et mouvements de chacun dans la mare rouge, les figures de la tragédie s’accomplissent avec art, à travers des identités saccagées par l’Histoire.

D’un côté, vouloir mettre à mort, pour des raisons politiques, un tout petit enfant (Astyanax) ; ou, par jalousie, une fiancée abandonnée (Hermione) fait tuer le traître (Pyrrhus) par son soupirant (Oreste) qui, une fois le meurtre accompli, se voit rejeté encore davantage et devient fou. De l’autre côté, vouloir l’amour de sa captive pour Pyrrhus, c’est en finir avec son inhumanité, « se délivrer de ses cauchemars horribles qui l’assaillent, effacer enfin la mémoire de sa barbarie ».

La scénographie évoque l’actualité sinistre de l’état de notre monde, que ce soit la Guerre en Ukraine ou la Guerre Israël-Hamas et les autres larvées : des champs vindicatifs de bataille et de vengeance, articulant des conflits durables - corps martyrisés, souffrances subies et disparitions.
A ce sol rougeoyant, maculé d’horreurs indicibles, correspond par antithèse, la parole policée de l’alexandrin racinien - petite musique, rythme, cadence d’une écriture altière, bercement subtil qui retombe sur ses pieds - sens propre et figuré -, un art de la langue qui sait se goûter. En cela, les interprètes sont des instrumentistes rares au jeu vocal et verbal précieux : tous font mouche.

Et traversant la scène, les pieds dans le sang versé, les personnages disent la douleur portée, l’esquisse formulée d’un destin ou des mouvements de l’âme. Pierrick Plathier dessine un Oreste tonique, énergique, figure active attachante par sa passion et sa foi en la vie : il déchantera. Son ami Pylade qu’incarne Jean-Baptiste Anoumon est juste, à l’écoute, le conseillant autant qu’il peut.

Alexandre Pallu en Pyrrhus a des allures de militaire tchétchène, sans la barbe, cheveux longs et dégaine de dur, entre le délinquant, le voyou et le bandit dangereux, jouant avec les règles.
Stature haute, il en impose par la force de ses convictions, prêt à discuter malgré tout. Jean-Philippe Vidal, son gouverneur, est le juste contre-poids discret et influent qui oriente le héros.

Chloé Réjon - Hermione -, que sa confidente Cléone suit, jouée par Clémentine Vignais, porte la certitude d’une passion amoureuse furieuse - sa raison d’être -, sans savoir ce qu’elle désire.
Quant à Bénédicte Cerutti qui incarne Andromaque fidèle à Hector mort, elle révèle une figure tragique sincère et sensible dont l’argumentation claire est exposée avec tact et précaution, telle une femme digne, égarée dans un monde de violence et de souffrance. Sa confidente Céphise - Boudaïna El Fekkak, lumineuse - exprime sa tendresse et sa sollicitude, l’engageant à vivre enfin.

Un spectacle implacable dont la caisse de résonance vibre des désenchantements du temps.

Andromaque de Jean Racine, mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig. Avec Pierrick Plathier, Jean-Baptiste Anoumon, Alexandre Pallu, Jean-Philippe Vidal, Bénédicte Cerutti, Boudaïna El Fekkak, Chloé Réjon, Clémentine Vignais. Costumes, Thibault Vancraenenbroeck, lumière Marion Hewlet, son Xavier Jacquot, coiffures et maquillage Emilie Vuez. Du 19 novembre au 22 décembre 2023, Odéon 6 è, Odéon - Théâtre de l’Europe. Du 16 au 19 janvier 2024, Théâtre national de Bordeaux. Les 1er et 2 février, Théâtre de Lorient. Du 8 au 14 février, Comédie de Genève.
Crédit photo : Simon Gosselin

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Véronique Hotte

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