La cérémonie de et par le Raoul Collectif

Les ruades poético-hilarantes du Raoul Collectif réjouissent le Théâtre de la Bastille

La cérémonie de et par le Raoul Collectif

Quel est le sujet de La Cérémonie ? Nous (le public du Théâtre de la Bastille) ne sommes pas les seuls à nous poser la question. Sur la scène, les neuf créateurs-interprètes du collectif se la posent aussi. Et formulent quelques réponses tout au long de ce spectacle sans équivalent, hilarant, poétique, ésotérique, jouissif et foutraque, qui tient du cabaret musical, du cirque, du théâtre, du défilé de carnaval, du rituel magique, du vaudou africain. Soudain, une comédienne formule une réponse qui fige tout le monde (public et interprètes) : « Le sujet, c’est la Mort ! ». On s’y arrête quelques instants, et puis on repart. Trop sérieux, la mort pour ce troisième spectacle (après Le Signal du promeneur et Rumeur et petits jours) des trublions belges qui préfèrent porter des toasts « à l’imprévisible ».

Quelques thèmes et sujets sont néanmoins repérables dans le spectacle : en premier lieu la mondialisation et le credo néolibéral, la pensée unique contre laquelle ils s’en donnent à cœur joie, la perte des rituels collectifs en Occident qu’ils déplorent sans pour autant jouer le chœur des pleureuses. Malgré la gravité des thèmes abordés, les comédiens se gardent comme la peste de tout esprit de sérieux, ils débordent d’une énergie vitale communicative dont l’esprit frondeur s’inspire des Tchantchés, ces marionnettes géantes du carnaval liégeois. Et l’imprévisible surgit sans cesse dans cette cérémonie informelle et fortement alcoolisée, spectacle pas si improvisé qu’il en a l’air, né d’un voyage au Bénin dans le cadre d’une formation musicale suivie par le groupe. Un enterrement très festif, notamment, a fortement impressionné la troupe et imprimé sa dynamique de groupe sur le spectacle parsemé d’intermèdes musicaux en forme de bœufs endiablés.

Squelette de ptérodactyle

La scène est un véritable capharnaüm avec un bric-à-brac d’objets qui tiennent du cabinet de curiosités, dont des instruments de musiques exotiques (percussions notamment) et une foule de chaises, objets de défoulement (Dieu merci en plastique) que les comédiens font valser d’un bout à l’autre du plateau. Nouveau venu dans le travail collectif, le scénographe Juul Dekker a apporté son savoir-faire et son imagination débordante. Particulièrement réussis, les masques faits de branchages dont se couvrent parfois les personnages. Autre objet énigmatique et poétique : le squelette géant de ptérodactyle qui surplombe le plateau et dont les ailes sont actionnées par une ficelle que chacun tour à tour actionne pour apporter un peu d’air poétique. Pour sa part, l’énorme chouette qui fait son apparition d’un air bonhomme, inspirée par les contes africains avec ses plumes en feuilles de bananier et ses sourcils en plumeau, apporte par sa présence intermittente un souffle de mystère et d’étrangeté.

Conçu comme un enchaînement de séquences, le spectacle fait référence à des personnages emblématiques de la littérature occidentale et leur problématique associée : Hamlet et le dilemme du passage à l’acte, Don Quichotte et les utopies salvatrices, Antigone (jouée par la formidable comédienne Anne-Marie Loop) dont l’aplomb dans la désobéissance met en difficulté l’arrogant roi Créon, trop sûr de lui et de ses raisons (suivez mon regard vers la France et un certain président-candidat à sa réélection !). Mais le clou reste l’apparition intempestive et drôle du Centaure, créature mythique mi-homme mi-cheval dont la violence incontrôlée et un rien ridicule (avec des ruades non sans risque pour le premier rang des spectateurs) se veut une démonstration de la puissance masculine en déclin.

« Ce qu’il convient de faire maintenant, conclut un comédien, nous ne le savons pas ». Nous non plus, sinon applaudir à ce spectacle que, sans craindre les grands mots, on peut qualifier de cathartique.

Jusqu’au 14 avril au Théâtre de la Bastille, www.theatre-bastille.com. Conception, écriture et mise en scène : Raoul Collectif, Romain David, Jérôme de Falloise, David Murgia, Benoît Piret, Jean-Baptiste Szézot. Avec Leïla Chaarani, Julien Courroye, Romain David, Clément Demari, Jérôme de Falloise, Anne-Marie Loop, David Murgia en alternance avec Yaël Steinmann, Benoît Piret, Jean-Baptiste Szézot. Direction technique et arrangements musicaux : Philippe Orivel. Scénographie : Juul Dekker. Costumes : Natacha Belova. Assistante costumes : Camille Burckel de Tell. Création sonore : Julien Courroye. Régie générale : Benoît Pelé
Tournée : les 20 et 21 avril à la Maison de la Culture de Tournai (Belgique). Les 5 et 6 mai : Centre dramatique national, Orléans.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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