Bruxelles : Théâtre Royal de la Monnaie

Tristan und Isolde de Richard Wagner

Wagner par l’éloge des nombres

Tristan und Isolde de Richard Wagner

Il est des saisons où certaines œuvres, sans concertation, commémoration, ni anniversaire se voient programmées simultanément dans plusieurs théâtres ou maisons d’opéras. Simple coïncidence ou signe d’un temps pour lequel ces œuvres-là ont leur mot à dire ? Allez savoir... Ainsi de Tristan und Isolde de Richard Wagner que l’Opéra de Montpellier vient de présenter (voir webthea du...) et que le Théâtre Royal de La Monnaie à Bruxelles a inscrit à son programme de rentrée. Avant Toulouse projeté pour mars 2007.


L’éternel jeu des doublures

A Bruxelles la réussite se conjugue à la fois pour les yeux et pour les oreilles malgré les aléas imprévisibles si caractéristiques au lyrique : maladies, extinctions de voix et remplacements in extremis sous peine d’annulation. Les exemples abondent et La Monnaie qui vient d’en faire les frais, s’ajoute à la liste de ce
La soprano suédoise Irène Theorin prévue pour incarner Isolde dut déclarer forfait pour cause de trachéite aiguë durant les premières représentations, et lors de la soirée du 19 octobre John Keyes, souffrant, fut contraint d’abandonner son Tristan durant le troisième acte, laissant à sa doublure, Mark Lundberg le soin de mourir pour lui. Casse-tête des producteurs, devoir d’ajustement des chefs d’orchestre et crève-cœur des metteurs en scène qui ont fait répéter tel ou tel artiste durant des semaines et qui brusquement les voient remplacés par des artistes avec lesquels ils n’ont pas eu le temps de se familiariser. Eternel jeu des doublures appelées au titre de bouées de sauvetage. Un jeu qui paradoxalement fait parfois naître des miracles.

John Keyes (Tristan)

La Finlandaise Kirsi Tiihonen se révéla parfaite en Isolde de secours, tant par la beauté et l’intensité de sa présence que par sa voix ample, au legato de velours, à la projection d’une netteté sans faille.
Certes on eut aimé voir et entendre jusqu’au bout le magnifique Tristan du ténor américain John Keyes, un géant tout de retenue et de dignité, wagnérien aguerri au timbre vrai de heldentenor, même si ce soir-là, il avouait sa fatigue et sa fragilité.

Un film tourné en « intérieur nuit »

De ces deux héros de légende qui nous disent que l’amour absolu naît par la grâce d’un philtre magique et n’a d’autre issue que la mort, Tristan est de fait le plus vulnérable. Un colosse aux pieds d’argile. Isolde est une forte femme, elle est celle qui se rebelle à la perspective d’un mariage arrangé et qui veut sa revanche de l’homme dont elle sauva la vie mais qui la mène vers un destin auquel elle refuse de se soumettre. Telle est la thématique de ce chef d’œuvre romantique créé en 1865 à Münich et dans lequel Wagner confessait la passion que lui inspirait Mathilde von Wesendonk. Yannis Kokkos, à la fois metteur en scène, créateur des décors et des costumes, et, qualité plus rare dans le monde de l’opéra, remarquable directeur d’acteurs, propulse le drame hors du temps. S’agissant de cinéma on dirait que son film est tourné en « intérieur nuit ». Un nocturne des cœurs et des âmes où les bleus, les gris, les plages d’encre et les rayons de lune tiennent lieu de domicile. Où un miroir caché fait surgir de nulle part les êtres et les éléments de la nature. Rien n’est montré, tout est suggéré, la mer omniprésente, le ciel en colère, les briques d’argent d’un mur imaginaire...

John Keyes (Tristan)

On pense à « L’Eloge de L’Ombre » ce classique plaidoyer des clairs-obscurs du romancier japonais Tanikazi. Les personnages, dans leurs longues arias solitaires, tracent des silhouettes immatérielles, quasiment chorégraphiées. Ce n’est pas l’amour que nous content les pages bouleversantes de Wagner mises en estampes par Yannis Kokkos mais la mystique de l’amour.

Des sonorités d’une lumière insoupçonnée

Aux visions intimistes du metteur en scène répond la direction d’orchestre toute de transparence de Kazushi Ono, qui de concert en opéras, tant à Bruxelles qu’à Paris, est décidément entré dans la cour des grands. Avec lui l’Orchestre Symphonique de La Monnaie atteint des sonorités d’une lumière insoupçonnée, tantôt frémissante, tantôt tendue comme un archet, tantôt rutilante comme une coulée de lave. Toujours attentive aux voix des premiers comme des seconds rôles, le Kurwenal généreux de Matthew Best, la remarquable, maternelle et chaleureuse Brangäne de Lilli Paasikivi et le Roi Marke de Franz Hawlata, plus baryton que basse, mais solide et droit comme la justice.


Tristan und Isolde de Richard Wagner, orchestre symphonique et chœur d’hommes de la Monnaie de Bruxelles, direction Kazushi Ono, mise en scène, décors et costumes de Yannis Kokkos, lumières de Patrice Trottier, vidéo Kurt d’Haeseleer. Avec John Keyes (et Mark Lundberg), Irène Theorin (et Kirsi Tiihonen), Franz Hawlata, Matthew Best, Lilli Paasikivi, Andreas Schreibner, Donal J. Byrne, René Laryea. Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles, les 14, 17, 19, 25, 28, 31 octobre & 2 novembre à 18h30, le 22 octobre à 15h. +32 70 233 939 ou +32 2 229 12 00

Théâtre Royal de la Monnaie

Copyright photos : Johan Jacobs

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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